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La forêt enchantée

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Je l’ai connue à l’automne, dorée et vibrante des cris du cerf. Je l’ai connue dans le silence de l’hiver, figée sous la glace comme par un sortilège. Je l’ai connue brumeuse en avril, quand le printemps n’est encore qu’un fragile espoir et que les premières feuilles frémissent sous le vent froid. Je la retrouve radieuse sous le soleil de juin. Je suis revenue dans la forêt enchantée. Je suis revenue…

Pour quelques jours j’ai replié la liste longue, la liste lourde des choses à faire, abandonnée près de l’ordinateur éteint, oublié mon téléphone, aucune onde ne parvient de toute manière à percer l’épaisse muraille de la forêt, j’ai laissé toutes les urgences en attente, pour marcher ici, légère et calme. Marcher sous les hêtres immenses, m’arrêter au bord des clairières écrasées de soleil, me coucher dans l’odeur des fougères et regarder passer les nuages dans le ciel. Comme c’est bon de juste regarder les nuages passer derrière le tremblement des feuilles!

Je suis revenue. Cueillir l’ail des ours et l’épinard sauvage que je cuisinerai ce soir. Boire à l’eau de la source, m’y laver dans la fraîcheur du matin, la sentir couler sur mes épaules, y plonger mon visage engourdi par la nuit, la laisser emporter la fatigue et les soucis.

Je suis revenue. Religieusement regarder les soleils couchants des Hauts-Plateaux, m’arrêter devant la pleine lune qui monte derrière les arbres, et être là pour le premier cri de la chouette.

Respirer le parfum d’ici, cette odeur puissante de terre, de mousse et de bête, que je n’ai pas goûtée ailleurs et que je reconnaîtrais entre mille. Je la trouve à nouveau aux pieds des arbres centenaires, enfouie sous les feuilles, intacte, précieuse et familière. Le parfum de la forêt enchantée. Elle me ramène, mieux que toutes les paroles de sagesse, à l’évidente joie d’être en vie, à la miraculeuse beauté du monde. Pas seulement ce monde-ci, exalté dans ce début d’été, mais aussi celui que j’ai laissé loin derrière le peuple bienveillant des hêtres, ce monde enchevêtré de petits bonheurs fugaces et de douleurs lancinantes, d’espoirs et de frustrations, de violence et de douceur. Mon monde. Que j’observe étonnée à travers le frémissement argenté de la forêt et que je reconnais comme le mien. Et que j’aime, tout entier, avec ses étranges contradictions….

Je suis revenue. Et c’est bon…