Rêves Nomades 2018

Rêves Nomades 2018

Un séjour photo au coeur de la réserve des Hauts plateaux du Vercors.

 

Frimousse ma douce, je te retrouve aux sentiers de lumière, aux sentiers de cailloux calcaires, quand la marche lave les jours usés. La première montée est rude, ton dos chargé ne bronche pas. Même quand on laisse l’ombre des vieux hêtres, et que le soleil cogne à grands coups sur la pierre blanche, le soleil est fou aux longues journées de juillet sur les Hauts-Plateaux. Il fait sa grande lessive, mes épaules battues, il cogne, mes jambes rincées, il cogne, ma tête vide sèche dans le vent brûlant, sèche en silence, entends-tu le battement du silence ?

Frimousse ma douce, d’abord je marche derrière toi, mes yeux posés sur le velours gris de tes reins, tu donnes la mesure du temps, toc toc toc, le temps des Hauts-Plateaux, ton dos balance lentement. Et cette ligne-là juste au milieu, de cendre soufflée, je la suis sans question, la flèche brune sur ton dos, ma tête vide, toc toc toc.

Frimousse ma douce, ta queue balance, je retrouve cela aussi… l’odeur fouettée de l’herbe sèche et, dans la poussière du chemin, ton parfum d’âne, chaud et rond, un parfum où se blottir à l’abri du monde absurde. Les nuées de taons flottent à tes jambes, noirs somnambules bercés par ton pas, toc toc toc. Et parfois se posent, s’enfoncent dans la soie de ton poil, alors c’est l’orgie sanglante à la lumière de midi. Un frisson court sur ta cuisse et quelques gouttes rouges sur la blancheur éblouie du chemin. Quelques gouttes, ma gorge est serrée. Toc toc toc, tu t’en moques. La source n’est pas loin, et bientôt l’herbe grasse de la plaine de Queyrie. Et bientôt la nuit fraiche en lentes gorgées bulles d’étoiles.

Frimousse ma douce, la voici la grande plaine caressée de vent. Ton dos libéré, on monte le camp. Un âne gratte le sol et renifle la terre. Puis la joyeuse roulade, les pattes en l’air, l’ivresse de la journée finie, tu roules toi aussi quand ton tour est venu, tu roules comme un rire d’enfant, comme une vague verte d’océan, un jupon de jeune-fille au bal. Tu roules et les montagnes autour font danser leurs hanches velues.

Frimousse ma douce, on mange dans le grand tipi, avec son œil rond tout en haut, ouvert sur les nuages, on mange assis en cercle, le soleil du soir souffle des musiques cuivrées sur la toile, le repas de Vincent est bon, le corps et le cœur nourri, les hommes sont meilleurs ici, sous la sagesse du grand tipi, mes fesses posées sur ta couverture épaisse, ton odeur encore, mêlée aux épices, au vin, et à l’amitié. Dehors tu t’es couchée dans le fenouil sauvage et tu écoutes l’or de nos rires.

Frimousse, la nuit coule rivière de nacre, je te retrouve aux matins caressants, les reflets d’ambre sur ton pelage, et tes yeux lagons bruns où nagent encore des secrets d’étoiles. Je me laisse attraper à tes longs cils de lune, je me laisse emmener sans question. Mes mains massent ton dos, appuient le long de la ligne d’encre, et je ne sais plus, où s’arrêtent mes doigts, où commencent tes muscles, juste le plaisir, je te parle tout bas, la terre écoute.

 

Puis le camp démonté, on vous remet le bât, les gestes lents et précis, votre patience infinie. On marche à nouveau dans l’herbe des Plateaux, encore et encore, le fil sacré du chemin se déroule. J’ai pris ta longe, je la sens un peu rêche dans ma paume, et précieuse, mon collier de prière au parfum d’âne. Mes pieds heureux sur le sol. Ton pas rond derrière moi, enveloppé d’herbe douce, toc toc toc, ton souffle chaud dans mes mollets. Tout près de moi, Frimousse ma sœur. Ma tête vide, silence bleu immense sous le ciel. Le ciel qui est tout près. Et les anges nous regardent en remuant leurs longues oreilles poilues.