Je suis vieille ce matin, couchée dans l’ail des ours, sous les hêtres tranquilles.
Je me frotte, je me roule, dans le parfum frais et joyeux, les feuilles lisses crissent doucement en offrant leurs arômes. Je respire à plein nez, les araignées mêlent leurs fils d’argent à mes cheveux lâchés.
Je suis vieille, et libre, et malicieuse sous les éclaboussures du soleil de juin. Chaque jour, je trouve une nouvelle ride, un nouveau pli entre mes seins. Chaque jour
Je déploie un peu plus
Mes ailes froissées de papillon
Chaque jour un peu plus légère
Je me vois vieillir comme on vole.
Je n’y avais jamais pensé, et soudain, le papillon, qui rebondit de fleur en fleur, ivre de blancheur piquante, il me dit son âge. Un papillon est un vieil être vois-tu, et cette vie est la dernière. Ce vol lumineux, trébuchant aux rayons de soleil jetés entre les troncs, c’est ce qu’on appelle avec pudeur le troisième âge. Je n’ai jamais aimé la pudeur. Ni ce besoin d’une jeunesse éternelle et ennuyeuse. J’aime les mots vrais, même rugueux. Et les papillons qui disent leur grand âge.
Je suis vieille et je vole et
Je danse quand j’ai envie de danser
Je chante pour les arbres qui connaissent mon nom
Je parle à la lune et à la rosée
Je remercie la biche qui est passée
J’écoute mes pieds nus dans les violons de l’herbe, je me déshabille à la source
Et sourit à mes cuisses mutines
Que le vent printanier vient frôler.
Je cours, je virevolte, je butine, je me gorge du nectar des jours, j’embrasse à pleine bouche affamée, je dis oui aux petits riens jetés à grandes brassées sur mon chemin. Je dis non aussi, car parfois c’est bon.
J’ai été longtemps une chenille ronde et douce. Elles sont belles aussi, mystérieuses et patientes, dans leur cocon secret. La magie de leurs couleurs, et leurs ruses pour traverser le danger. Oui, une chenille habile. Et lisse, et bien élevée.
Ce matin je me fous d’être belle
Je me fous de l’approbation de ceux
Qui n’osent pas
Je veux juste voler
Encore encore encore ! Mes rides pleinement déployées !
Le vieux papillon se pose devant moi, sa trompe se plante dans le cœur palpitant d’une fleur d’ail des ours. Il boit lentement. Ses ailes s’ouvrent et se ferment, comme si elles respiraient la poussière de soleil versée entre les arbres. Je me recouche aux feuilles odorantes, les bras grand ouverts, j’écoute le souffle de la Terre dans mon ventre, et j’apprends. La médecine sage du vieux, très vieux papillon.