La médecine des aspérules

De retour de la forêt enchantée, nous partageons avec vous l’une de ses précieuses leçons…

Dans la forêt enchantée poussent les aspérules

Je vais pieds nus au milieu d’elles

Blanches délicates au parfum silencieux

Et les calaments des bois, froissés sous mes genoux

Sentent doucement la menthe quand

Je m’assois pour la cueillette.

Les fleurs minuscules des aspérules lèchent le soleil

Qui s’étale en flaques mouvantes sous les vieux hêtres. Je cueille lentement, en murmurant une berceuse, je coupe la tige sous le cercle des sept feuilles pointues qui fait comme une coupe sous la fleur. J’y laisserais bien mon cœur pour quelques saisons. Blotti là, dans l’ombre pailletée de la forêt ancienne. Nourri des rayons blonds et des averses tièdes. Battant au rythme des longues tiges vertes. Et rien d’autre. Que me faut-il de plus ? Depuis plusieurs nuits je dors à la lisière des bois. Je me lave à l’eau de la source. Je mange les légumes que j’ai apportés mélangés aux pâtes et aux herbes sauvages. Mon seul luxe est la bière ouverte tous les soirs devant le soleil qui se couche, et partagée avec mon bien-aimé. Je fais la sieste au soleil des clairières, et je marche parmi les tapis d’aspérules. Dans la forêt enchantée, la vie est simple et précieuse. Chaque fleur cueillie est sacrée.

Sacrée aussi la rosée du matin, la biche que je regarde passer. Les appels du pic noir coulés comme des sanglots aux cimes secrètes des arbres. Sacrée la tique qui grimpe le long de ma jambe. Je la prends doucement et la dépose ailleurs. Je me souviens

Qu’elle était ici avant moi

Et qu’elle garde le temple tout comme

Les blanches fleurs, menues et discrètes, qui frôlent mes chevilles.

Je leur laisse

Une poignée d’herbes séchées venues de mon jardin,

Une offrande

Pour que l’équilibre soit maintenu,

Que celui qui offre soit remercié,

Que celui qui reçoit donne en retour.

Dans la forêt enchantée il y a des lois anciennes et sages, les hommes les ont perdues parfois,

Mais elles restent écrites aux racines des arbres,

Aux infimes filaments de mycellium qui, depuis toujours,

Donnent et reçoivent

Et s’étreignent dans l’obscurité de l’humus.

Je le sens si fort, là, dans l’auréole dressée du soleil de juin,

Ce lien, cet équilibre sacré. Le bouquet de fleurs porté à mes lèvres

Me le murmure encore. Que me faut-il de plus ?

Les blanches aspérules au parfum silencieux

Gardent le mystère de ces lois sacrées.

En séchant elles soupirent une odeur divine et sucrée

Un parfum enchanté.

Quand j’aurai quitté la forêt ancienne

Pour marcher à nouveau sur la fêlure du monde

Elles seront avec moi

Elles raconteront les histoires oubliées

Et je me souviendrai.