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Automne 2020, brame du cerf et alchimie

 

Etre photographe, c’est s’intéresser aussi au sens profond de cet art qu’on a fait sien. Savoir pourquoi on fait les choses, la plupart du temps cela aide à mieux les faire! Par certains côtés, la photographie est une forme de témoignage, une manière d’attraper un instant éphémère, d’en fixer la réalité et l’intensité. L’instant passe, mais l’image reste et parle. Elle est la gardienne de nos mémoires et de nos moments de vie. L’éclaircie qui perce la brume, les premiers sourires de notre enfant, et aussi la douleur de la guerre, ou celle d’une forêt en flammes. Mais la photographie est plus que cela: c’est une forme de créativité, et créer c’est transformer le réel, notre regard a ce pouvoir là. Et il suffit de regarder les photos des uns et des autres en stage, les différentes restitutions du même moment que nous avons tous partagé, pour voir que chaque image est un acte de création. 

Parfois c’est facile, la lumière est une bénédiction, le paysage est harmonieux, il n’y a qu’à appuyer sur le déclencheur, et hop! Mais parfois… La météo n’est pas ce que nous espérions, il y a cette clôture qui vient tout gâcher, ou l’animal qu’on attend depuis des heures et qui ne sort pas là où on l’espérait. C’est là que la photo peut devenir alchimie, transformer l’obstacle en opportunité, la déception en tremplin de l’imagination, et le plomb en or.

Lors de notre dernier stage photo en octobre, nous avons eu une invitée surprise, à laquelle nous n’avions pas envoyé de bulletin d’inscription: la tempête Alex! Pour être honnêtes, on a eu beaucoup de mal à s’extirper de notre lit le samedi matin, le vent avait sifflé toute la nuit à nos fenêtres, et la pluie tambouriné, et il faisait froid, et zut, et zut! Mais nos stagiaires nous attendaient, pleins d’espoir après avoir vu de magnifiques images sur le Vercors en automne, et on est parti tous ensemble vaille que vaille dans le vent hurlant et la pluie battante. 

Ce ne fut pas toujours simple, on a eu froid parfois, on a dû revoir le programme prévu, s’adapter, inventer, garder la foi et le sourire. Et l’alchimie s’est produite, le soleil qui perce, les nuages qui roulent sur les crêtes, la beauté sauvage du vent dans les arbres, la forêt qui se révèle, nappée de brumes et de mystères. De l’or! Notre or d’alchimiste issu des jours de plombs! Et en prime pour nous, des rencontres fortes avec des personnes passionnantes, des flots de chaleur humaine et de bonne humeur, nous sommes revenus heureux et reboostés pour des semaines! 

Nous vous invitons à une balade émerveillée sur ces trésors d’automne: retrouvez les images du stage et une sélection de nos photos de septembre et octobre sur le Vercors, dans la galerie ci-dessous. 

 

Brame du cerf

Petits conseils pour bien photographier le brame du cerf

Voici le retour de l’automne. Dans les forêts de cuivre et d’or, les cerfs recommencent, peu à peu, à chanter leur râle rauque. C’est la saison des amours ! Des amours qui, ces dernières années sont devenues de plus en plus prisées. Le brame du cerf est à la mode 😉

Dans les forêts de cuivre et d’or, on trouve maintenant plus d’êtres humains que de cerfs, et forcément, ça soulève des problèmes.

D’abord il y a les photographes qui photographient à l’approche. Ils se déplacent dans les bois en s’orientant aux appels profonds qui font trembler la terre. Qui remuent le ventre. Dans leur tenue de camouflage, qu’ils ont achetée une fortune sur un site spécialisé, ils se disent que forcément, on ne les verra pas. Les cerfs les entendent à des centaines de mètres, et ils sentent l’humain à plein nez, à plein muffle devrais-je dire. Ils détectent le moindre petit mouvement entre les troncs. Ces visiteurs bruyants, et facilement repérables, chez nous, on les appelle les gugus. Ceux qui débarquent pour le brame sur leur jour de congé, avec une journée, ou au mieux un week-end, pour revenir avec la photo du siècle, la même que celle qu’ils ont vue passer hier sur instagram. Les gugus n’ont pas de temps à perdre en affût, en longues attentes improbables, en repérages ingrats. Ils sont pressés. Ils veulent leur image comme d’autres leur trophée. Les gugus arrivent parfois avec un appareil photo compact. Et parfois avec des boîtiers et objectifs qui représentent des mois de salaire. Ils sont jeunes ou vieux, femmes ou hommes. Et pour tout vous dire, je crois bien que chacun de nous a, au moins une fois dans sa vie, été un gugus. Quand le gugus passe, les cerfs sont dérangés et fuient à toutes pattes, les biches, qui ne sont fécondes que quelques heures pendant la saison de brame, regardent partir l’occasion. Ces pauvres bêtes, qui passent déjà leur vie dans la peur, poursuivies par les balles des chasseurs et les crocs des chiens furieux, ont a subir un stress supplémentaire. Et les photographes sérieux, qui attendent depuis l’aube dans leur affût humide, ont des envies de meurtre. Tout ça pour une image ?

Mais la photographie animalière, qu’on se le dise une bonne fois pour toute, c’est un sacerdoce ! On s’y voue corps et âme. On sait qu’il faut des années de repérages, d’écoute et d’affûts sans succès, pour connaître les coins. Des nuits courtes, des repas pris à la va-vite. Et ensuite des heures, des jours d’attente, dans l’inconfort et l’immobilité, pour entrevoir peut-être un animal qui passe. On ne doit jamais aller à la rencontre des animaux comme un consommateur ; en photo animalière, on doit apprendre à être un mendiant. Avec une humilité totale. Avec patience. Amour. Respect. Toujours se poser la question : est-ce que je risque de déranger là, si je fais ça ? Dans les forêts de cuivre et d’or, les photographes que l’on trouve se posent peu de questions et sont rarement des mendiants…

Il y a bien entendu d’autres options, on vous entend déjà y penser, derrière votre écran. On peut payer un photographe aguerri, un naturaliste passionné, un accompagnateur qui connaît bien les lieux, un de ces prêtres des animaux sauvages, qui vivent dans leur intimité et savent leurs secrets. Il nous emmènera au bon coin, et nous pourrons l’avoir notre photo du siècle, tu sais la même que…. oui je sais je sais… Chaque année nous avons des personnes qui nous demandent un stage brame du cerf sur le Vercors, et qui sont prêts à payer des tarifs tels que nous sentons soudain deux petites cornes diaboliques pousser sur chaque côté de notre front. Elles ont une voix suave et convaincante, ces cornes, et elles répètent en boucle « dis oui, y a une fortune à se faire là ! oh dis oui ! »

On dit non. Jusqu’à présent on a toujours réussi à dire non. Et tant pis pour les factures qu’on a du mal à payer. Dans certains stages, on amène les gens voir les marmottes et les bouquetins, qui ne sont pas chassés, et qui nous laissent les approcher sans inquiétude. Mais les espèces sensibles au dérangement et qui subissent déjà une grosse pression à cause de la chasse, on leur fout la paix, surtout pendant leur saison de reproduction, on n’a pas envie d’en rajouter une couche supplémentaire.

Et là, on a envie de s’adresser à nos collègues photographes animaliers, naturalistes, accompagnateurs en montagne. On sait bien que c’est dur d’en vivre, on a les mêmes challenges que vous, et on a souvent discuté ensemble avec ce questionnement : faut-il proposer des sorties animalières à nos clients ? Leur vendre ces coins précieux que nous avons mis des années à repérer ? Leur offrir le trophée tant recherché contre quelques centaines d’euros ? Leur montrer, à ces inconnus dont on ne sait rien, sinon qu’ils ont de quoi payer, la place de brame, le terrier de renard, l’aire de tétra lyre, le nid de chouette ? C’est une chose de partager ça avec un bon ami, c’en est une autre d’en faire son business. Un jour sur une expo, un ami photographe qui se reconnaîtra peut-être nous avait dit : « j’ai l’impression d’avoir vendu mon âme au diable. » Et le diable, un arrogant fortuné et sans scrupule, et qui se foutait bien de déranger les oiseaux, avait rentré les coordonnées GPS du lieu où nichaient des chevêchettes, avec la ferme intention d’y revenir jusqu’à ce qu’il ait réussi à l’avoir, la fameuse photo, tu sais celle sur facebook… oui je sais je sais… Il en a même fait une expo…

Et en même temps, on ne peut pas leur en vouloir à ces clients qui sont prêts à payer des fortunes pour tenir entre leurs mains le Saint Graal. On ne peut pas leur dire : on t’emmène, tu y goûtes, et après tu ne reviens jamais ici. Tu ne fais pas d’expos avec. Tu te tais, tu oublies. On peut éventuellement leur bander les yeux, pour qu’ils ne puissent pas retrouver le chemin du lieu sacré, mais c’est pas très pratique pour la photo, et il y a un sérieux risque d’entorse. Ou les faire disparaître une fois qu’on a fait le boulot, c’est radical certes, mais au passage ça supprime le risque d’entorse. Les forêts de cuivre et d’or seront peut-être un jour creusées de tombes mystérieuses 😉

Soyons un peu sérieux, la plupart des clients, les nôtres en tout cas, sont des gens chouettes, des vrais amoureux de nature, des personnes respectueuses. Mais tous ne sont pas comme ça, on le sait bien. Quand on propose un stage photo, et qu’on le met en ligne, accessible à chacun, on ne peut pas trier sur le volet. On prend ceux qui viennent. Et si le diable est dans la liste d’inscrits ?…

 

Peut-être y aurait-il d’autres manières de faire ? Nous posons la question… Mais même dans ce cas, avec les offres de stages photo qui se multiplient partout et la demande de plus en plus forte, ça pose des problèmes. S’il y a un photographe qui emmène 3 personnes faire le brame, c’est déjà compliqué, mais s’il y a 3 ou 4 photographes qui font la même chose dans le même coin ? Chez nous sur le Vercors, entre les stages brame, les balades brame, les rando brame, les bivouac brame, ça devient vraiment tendu. Répétons-le encore une fois, il s’agit de la période de reproduction, c’est pas rien, c’est l’avenir de la harde qui se joue ici. Et dans les secteurs « populaires », le comportement des cerfs et biches a vraiment changé depuis dix ans que nous les photographions.

Beaucoup de copains photographes, quand on aborde ce sujet, nous répondent de manière très pragmatique : les autres le font, si je ne le fais pas, ça ne s’arrêtera pas pour autant, et un autre aura la part du gâteau à ma place. Bien des horreurs se sont justifiées au cours des siècles avec cet argument. Et si notre monde est dans cette merde c’est parce qu’on n’arrête pas de se dire ça, les autres le font… Les autres traversent le monde en avion pour photographier des ours polaires ou des manchots. Les autres proposent des prestations et des séjours de plus en plus spectaculaires, et de plus en plus loin, des ours et des loups en Slovénie, en veux-tu en voilà, des safaris, des prises de vues en hélicoptère, des traversées en quad, y a qu’à taper sur google et la nature entière est à vous ! Les autres le font, plein d’autres. Bah nous, on le fait pas. Voilà. Comme quoi c’est possible. On ne rajoute pas une pression supplémentaire sur la faune sauvage, ici ou ailleurs, qui morfle déjà bien assez. On évite de trop gonfler le bilan carbone planétaire. De rentrer dans cette course folle du toujours plus et toujours plus loin. On est trop nombreux sur terre, et le monde sauvage se rétrécit de plus en plus, on ne peut pas se permettre de rajouter ces pressions supplémentaires. On ne peut plus se comporter comme si on était seuls à habiter la terre, à faire de la photo, à proposer des séjours. Et puis, entre nous soit dit, payer un photographe pour aller photographier les cerfs, c’est comme acheter ses girolles au supermarché : il manque le plus important, ce qui donne sa saveur à la chose : la quête sous les arbres silencieux, l’espoir des petits matins pluvieux, le miracle de la patience récompensée.

On a bien conscience, avec cet article, de mettre, de manière un peu brutale, les pieds dans le plat du business de la photo animalière. Du business de la photo tout court. Mais voilà, on n’aime pas ce que la photographie de nature est en train de devenir, on refuse cette manière consumériste d’aller vers les animaux sauvages. D’exploiter la vie pour se faire de l’argent dessus. Ou juste pour avoir une belle image et sentir gonfler son ego.

Depuis plus de dix ans nous essayons de marcher sur une autre voie, un autre rapport à la nature. Où la photographie est une manière de rencontrer le monde, avec une tendresse curieuse et pleine de respect. Où l’on ne se contente pas de photographier, où l’on apprend à voir. Une manière aussi de se relier et se suffire à soi-même, sans nourrir l’ego démesuré et son éternel besoin de reconnaissance. Dans notre vision de la photographie de nature, c’est d’abord la nature. Et ensuite la photo. Alors oui, nos conseils pour le brame du cerf ne sont certainement pas ce que vous attendiez. Mais nous espérons qu’ils parleront tout de même à votre cœur et à votre bon sens.

Et pour terminer, une petite liste de conseils faciles à appliquer pour profiter de ces moments magiques sans porter préjudice à la faune sauvage.

  • Primum non nocere. En premier, ne pas nuire. Ce précepte, qui vient de l’antiquité, est aujourd’hui encore le premier qu’apprennent les étudiants en médecine. Posez-vous toujours la question : est-ce que ce que je m’apprête à faire là risque de nuire aux animaux que je suis venu rencontrer ? Si la réponse est oui, abstenez-vous.

  • Acceptez une fois pour toute que vous ne ferez pas de belles photos animalières sans vous donner du mal, et sans vous laisser le temps pour cela. Si vous n’avez pas le temps, ou pas l’énergie, contentez-vous de vous asseoir en bordure d’un chemin, ou faites un affût sans vous mettre la pression, et écoutez la magie du brame. Les oiseaux qui chantent. Le vent dans les feuilles. Ecouter c’est aussi fabuleux que de voir. Et infiniment ressourçant. Laissez tomber toutes vos attentes, savourez juste le fait d’y être, là, maintenant. Et si un animal vous fait le cadeau de sa présence, prenez-le comme un miracle.

  • Interrogez-vous sur vos motivations profondes à faire de la photographie animalière : qu’est-ce que je fiche ici ? Est une très bonne question à se poser. 1/ Est-ce que je suis là pour savourer les couleurs, la brise fraîche d’automne, le miracle d’une rencontre animalière ? Parce que ce silence et cette solitude me font vraiment du bien ? 2/ Est-ce que je viens pour ramener une belle image ? pour avoir quelque chose à montrer au club photo  ou à poster sur facebook? Pour un projet de livre ou d’expo ? Entre 1/ et 2/ à votre avis, lequel fera le moins de conneries ? Lequel sera le plus heureux ? 😉

  • Photographiez toujours les cerfs et les biches en affût, jamais à l’approche. L’approche dérange beaucoup plus, et maintenant qu’il y a de plus en plus de monde dans les forêts pour écouter, photographier ou observer les cerfs pendant le brame, l’approche est tout bonnement une aberration. Même une approche faite dans les règles de l’art et avec des précautions infinies, s’il y a 50 personnes qui font ça dans un coin, c’est la zizanie. Les affûts volants, qui sont une forme d’approche déguisée, sont tout aussi nuisibles. Si vous ne supportez pas de rester en affût, si ça vous fait mal au dos, si ça vous ennuie… oubliez la photo animalière;-)

  • Installez-vous en affût avant le lever du jour le matin, et quittez l’affût après midi lorsque les cervidés font la sieste. Entre temps, ne vous déplacez pas, restez silencieux et immobile, comme le tronc d’un arbre. Pour le soir, arrivez en milieu d’après-midi, quand les bêtes sont en train de se reposer. Et ne quittez l’affût de nuit que lorsque les cerfs ont déserté la place.

  • Photographiez avec une housse anti-bruit, afin que vos déclenchements ne soient pas entendus. Ou au pire avec une grosse écharpe en polaire enroulée autour du boîtier et de l’objectif. Ne photographiez pas les animaux s’ils sont trop près de vous et qu’ils risquent d’entendre le déclenchement. Contentez-vous à ce moment là de savourer cette proximité qui est un fabuleux cadeau ! Cessez de photographier si l’animal montre un signe d’inquiétude. Oubliez le mode rafale.

  • Il y a un gros business autour de la photographie animalière, avec des tas de vêtements spécialisés, des tas d’accessoires, du matériel photo hors de prix. Ne tombez pas dans le piège de la consommation à outrance. Des vêtements aux couleurs neutres qui rappellent les lieux où vous affûtez, achetés d’occasion c’est encore mieux, ou au surplus militaire. Des tenues chaudes, en laine de préférence car c’est bien pour les odeurs. Mais restez simples. Le plus important est d’être immobile et silencieux. Si vous portez une guillie et que vous parcourez la forêt avec, on ne verra et on n’entendra que vous ! Et les cerfs, qui vous montreront leur cul en prenant la fuite, soupireront, « et zut, encore un gugus, y en a de plus en plus dans cette forêt, faudrait peut-être les réguler un peu non ? »

Vous trouverez dans les magazines spécialisés des tas d’articles qui vous donneront des tas de conseils plus « techniques ». Vous l’avez compris, malgré le titre alléchant (et oui, on a été un peu coquins), ce n’est pas le sujet ici. Si vous suivez nos conseils, vous aurez peut-être la chance de faire une belle rencontre, mais rien n’est garanti. Jamais. C’est pour ça que c’est si beau. C’est là qu’est la magie. Et ce qui est certain en tout cas, c’est qu’avec un peu plus de respect et de bon sens de notre part à tous, les cerfs et biches seront plus heureux et tranquilles, cachés dans les forêts de cuivre et d’or. Et si vraiment nous aimons la nature, vous devons savoir que c’est ça le plus important, non ?

Et surtout, s’il vous plaît, s’il vous plaît, ne soyez pas des gugus ! On compte sur vous. Et les cerfs aussi 😉

La sagesse des sauterelles

La première heure, je la passe avec les sauterelles. Elles viennent, curieuses et légères, sur la couverture que j’ai étendue là, à la lisière de la clairière de Malatra. Elles grimpent sur mes mains. J’aime le pas des sauterelles. Ce n’est pas la caresse frissonnante et pressée des fourmis, c’est un peu plus rugueux, un peu plus saccadé, cela prend son temps, avec tout de même un brin d’appréhension. Dis-moi, as-tu déjà senti le baiser d’une sauterelle ? Ce pincement qui fait sursauter, mais qui n’est pas la douleur encore, et je bouge ma main soudain, quand elle colle sa bouche étrange à ma peau. La voici qui s’envole affolée, je me confonds en excuses et je ris. C’est bon de rire, ça faisait longtemps je crois.

Les sauterelles d’ici ne sont pas farouches et pardonnent facilement. Elles reviennent sur le doigt plein de promesses que je leur tends, je les laisse m’explorer. Parfois je m’assoupis, bercée par la chanson du vent dans les feuilles et les derniers brames rauques des cerfs fatigués. Les cerfs… je les ai espérés, tapie dans l’ombre de l’affût, des jours durant, aux petits matins frileux, aux soirs de mélancolie rose. J’ai attendu, humble mendiante de leur passage rayonnant, grisée de leurs parfums âcres, tous mes sens aiguisés comme une douleur. Ils sont venus parfois, quelques secondes offertes, une pièce d’ or jetée à mon épuisement. Et le reste du temps, juste la chute assourdissante de chaque feuille brune que j’entends se détacher de l’arbre et frapper le sol comme une explosion. Et aussi le vent du Nord dans l’herbe fanée des clairières. Je l’aime bien, le vent du Nord. Il n’est pas lunatique comme celui du Sud, il souffle sa fraîcheur raisonnable sur mes brûlures d’espoir.

Avec les sauterelles, il n’y a rien à espérer. C’est reposant. Elles ne cessent pas leur exploration, et je me demande comment c’est ma peau, sous leurs pattes sèches et leurs yeux étranges. J’aime bien les questions qui ne servent à rien vois-tu. Et le temps qui passe. Et le vent qui souffle.

J’ai sorti mon carnet, elles sont toujours là. J’aide celle-ci, toute verte, à grimper sur mon stylo, et nous écrivons ensemble le délicieux vide d’ici. Des ombres dansent sur les troncs des hêtres. J’aime le gris-bleu de leur écorce mangée de lichens. J’aime être là et ne rien faire. Et bâiller. Et sentir cette larme au creux de mon œil, surprise de retrouver la vie. La paresse est mal vue en ces temps affairés, elle ralentit la sacro-sainte croissance. Chacun se doit d’être efficace et vaque, bien sérieusement, à ses occupations. On pianote, on répond aux mails, aux ordres, au téléphone, on avale les rêves qu’on nous vend, et les pilules pour dormir. Je sais bien tout cela, mais je me laisse avoir, encore, parfois. Ne surtout pas passer pour un parasite. Dis-moi, les sauterelles sont-elles des parasites ? Elles flânent depuis plus d’une heure sur ma main, et, en frottant leurs ailes de dentelle, elles font rimer paresse avec

caresse

sagesse

tendresse

et aussi fesses !

Mais c’est juste pour entendre mon rire, encore, encore, rebondir aux troncs bleus des hêtres, encore, encore jusqu’aux princes enroués cachés dans la forêt.

Une image, un poème…

Lors de notre exposition « à fleur de brume »  fin novembre à Montier-en-Der, vous êtes nombreux à avoir été touchés par les textes présentés avec les images. Nous vous remercions une nouvelle fois d’avoir partagé avec nous vos émotions, de nous avoir parlé sur le stand, d’être venus vous livrer un peu…

Certains des poèmes présentés étaient inédits, et n’avaient jamais été publiés. Pour vous remercier de vos touchants retours, nous en partageons un avec vous sur ce blog… en attendant la publication de notre livre…

a_fleur_de_brume (8 sur 24)

 

 

Hier, dans le silence de la brume
je suis passée t’en souviens-tu?
Nous avons partagé un infime instant de vie
et quelques atomes d’air.
Nous goûtions l’un et l’autre le parfum de la forêt,
au creux de moi, lentement,
mon petit grandissait, et toi
tu m’as regardée sans bouger, puis tu m’as laissée
m’enfoncer doucement dans le brouillard d’automne.

Ce matin
Couchée sur le flanc, j’attends
la dernière balle.
La forêt hurle sous tes chiens, les feuilles affolées
s’envolent en gerbes rouges et crissantes.
Tu dis que c’est ainsi depuis la nuit des temps,
sans cesse vous nous rappelez
que la vie ne tient qu’à un fil
d’araignée
pour mieux vous-mêmes l’oublier.
Mais dans la nuit des temps
vous étiez bien moins forts, et la mort
n’était pas un loisir encore.

Mon petit ne verra pas
la lumière du mois de juin
le vert de l’herbe si vif qu’il brûle presque les yeux,
les diamants de soleil versés sur l’eau des mares.
Et toi, seras-tu encore là?
Sous les cognements de mon coeur
j’entends maintenant
le bruit de tes pas.

stage photo nature « Echappée Belle »

Le stage photo nature « Echappée Belle » des 3 et 4 octobre 2015 est désormais complet. Nous nous réjouissons de partager les merveilleuses ambiances de l’automne sur le Vercors avec les personnes inscrites. Déjà, les premières brumes arrivent, déjà, les couleurs des arbres changent doucement, et dans la forêt le brame du cerf commence à résonner. La magie est là… Il n’y a plus qu’à regarder, écouter, sentir…

echappee_2015