Archives par mot-clé : aube

la naissance des faons

Le mois de juin arrive, il est temps pour nous de quitter le monde des hommes pour retrouver la forêt enchantée où les faons viennent tout juste de naître. Voici le récit d’un des précieux instants trouvés au fond des bois….

La bonne fée

Dans la forêt enchantée, aux premiers jours de juin, les faons naissent entre les cuisses veloutées des biches. Ils glissent doucement dans l’herbe grasse des clairières, mouillés et surpris. La Terre est leur berceau, la grive musicienne chante au-dessus. Et les mouches déjà ronronnent.

J’attends leur venue, roulée dans l’aube frileuse, ou blottie au tronc d’un vieux hêtre. Immobile, silencieuse. Et patiente. La vie prend son temps pour grandir ici, et la hâte n’a pas sa place. Les heures fondent aux branches dansantes des arbres, la lumière du matin arrive comme un miracle. Dans l’immense forêt sauvage, je sais que quelque part un faon est en train de naître. Léché tendrement par sa mère. Je sais, et cela me suffit. Je le verrai peut-être passer un peu plus tard, rêveur et maladroit, aux flancs de la biche aux aguets. Ou peut-être pas. Qu’importe. Nous partageons pour quelques jours le parfum âpre de la forêt, les ronds blonds que le soleil jette à travers les feuilles et qui tremblent sur la mousse. Nous partageons le vent et la caresse argentée des averses. La douceur blanche des aspérules et le cri du pic noir quand il fait glisser sur les arbres son voile de mélancolie. Nous partageons ce petit morceau de vie fragile et lumineuse.

Tapie dans l’ombre, je pose lentement une main sur la Terre et je murmure tout bas une bénédiction. Que la vie, petit être, te soit douce et facile. Que la forêt te garde en sécurité. Que ton herbe soit verte et nourrissante et que les fusils se détournent de toi et des tiens. Je viens pour cela et pour rien d’autre, ces quelques mots confiés au vent tiède du mois de juin. Ma prière de bienvenue. Et quand une biche passe avec son faon éclaboussé de rosée, je me penche à peine, derrière le frou-frou vert des feuilles, et je souris sans qu’ils me voient. Comme la bonne fée sur le berceau d’une princesse.

Commencer l’année

Et si on la commençait tout en douceur, en ralentissant un peu le rythme, en revenant aux choses simples? 🙂

 

prises2vues-7998

Sur le fil des crêtes, nous marchons. Lente montée baignée du soleil de fin de journée. Les paysages défilent. Sous les pieds il y a parfois la douceur d’une fine couche de neige, et parfois la terre dure veinée de racines. Nous sommes dans chaque pas. Nous ne parlons pas. C’est comme un accord tacite cette absence de mots, un cadeau que nous nous faisons l’un à l’autre, pour nous permettre de mieux revenir.
Je marche. Au milieu du silence j’écoute résonner la ronde folle de mes pensées. Continuer à avancer, les laisser courir au bord du vide, comme des chevaux emballés, des enfants turbulents, je sais qu’elles finiront par s’arrêter, se poser dans l’ immensité qui se déroule ici. Juste les laisser.
Marcher encore. Des oiseaux s’envolent devant nous en gerbes d’argent bruissantes. Au loin la mer de nuages lèche doucement les flancs des montagnes. Le soleil descend, le corps chauffe, je sens les muscles de mes cuisses gorgés de sang qui se contractent au rythme régulier de mon pas. Bientôt il n’y a plus que cela, la merveilleuse machine des jambes qui avancent tandis que l’esprit se vide. Nous y sommes.

Le soleil descend encore, vient s’étouffer dans le velours moelleux des nuages bas. Nous déposons les sacs à dos pour préparer le feu. C’est pour cela que nous sommes montés ici: éclairer la longue nuit d’hiver à la lueur des flammes. J’aime cela, préparer le feu. Chaque geste est un abandon simple à la vie. Matt quitte la crête et s’enfonce dans la forêt à la recherche de bois mort. Bientôt j’entends le ronron régulier de sa scie qui flotte par-dessus la cime des arbres. Je prépare le cercle de pierres, les dispose une à une, leur contact glacé tandis que le ciel devient rose. Puis je vais chercher le petit bois sous un grand épicéa. Il m’offre des dizaines de fines branches sèches, qui se cassent dès que mes mains les effleurent. Elles brûleront facilement.
Nous faisons des petits tas de bois, amoureusement ordonnés. Gestes précis et lents. Loin de la précipitation de ces dernières semaines où il fallait tout faire très vite. Je goûte cette lenteur presque sacrée, le soleil s’enfonce dans l’horizon cotonneux zébré de rose et d’or.

Matt allume le feu, les premiers crépitements, la tension dans le corps, et le parfum troublant de la résine. Les flammes montent vite, le bois est bien sec après ces jours sans pluie. Le vent du nord s’est levé, glacial, mais nous sentons déjà le souffle chaud qui palpite dans l’aube.
Des braises s’envolent, dansent dans le vent, joyeuses petites lucioles orangées. Nous suivons du regard leur vol enchanteur. Ne pas parler. Laisser le feu grandir dans le silence. A travers la fumée, la mer de crêtes se brouille et se met à onduler doucement. Matt verse le thé dans les tasses. La nuit vient, toute bleue. Elle enveloppe les arbres et resserre ses bras d’ombre autour de nous. La première étoile, entre deux gorgées de thé brûlant. Les lumières des villages de la vallée s’allument au loin. Puis, au milieu de l’immensité radieuse, le cri d’un renard. Il approche et semble tourner autour de nous. Ce n’est pas un chant mélodieux, mais une sorte de gémissement aigu qui gratte la nuit, se frotte aux dernières lueurs et fait vibrer les crêtes de sa force sauvage. C’est beau. Nous écoutons, recueillis, silencieux, simplement heureux d’être là. Que demander de plus à la longue nuit d’hiver. Nous avons le feu, les étoiles et les cris mystérieux du renard qui s’enfonce dans l’ombre. La lueur des flammes caresse le visage de mon homme, fait chanter sa barbe de reflets roux. Nous avons dû échanger une dizaine de phrases au fil de ces heures étirées. Tellement proches pourtant. Tellement bien. La tête sur son épaule, je regarde le feu s’éteindre et l’année commencer doucement.

Libre…

libre-0076

Assis dans la nuit, sous le souffle des étoiles,
guetter
les premiers battements du nouveau jour
qui écarte lentement les nuages.
Respirer l’heure bleue,
l’heure froide et silencieuse, sa caresse sur
les visages froissés d’insomnie.
Ne plus s’arracher
à la noirceur du monde -toujours elle nous rattrape-
mais simplement
se rappeler la lumière.
Attendre le matin…
Sur la terre gelée
la course légère des chevreuils palpite.
Voici la première lueur.
Marcher dans leur pas.
Libre.