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Chaque matin je traverse
La forêt qui
dans ses plis d’ombre
couve des lueurs de mousse verte.
Chaque matin, l’odeur vivante des champignons. Les longs pins se cambrent
Parmi les chênes verts comme
des danseuses au-dessus d’un orchestre.
Chaque matin le même sentier
plein de détours puis
les trois troncs tombés
sur le chemin qui rejoint
la Vieille Mère du Marais.
Elle attend immobile et calme entre
La forêt bruissante, les hanches blondes des dunes,
Et la rumeur de l’océan.
Dans ce creux du monde elle attend
depuis mille matins.
Et chaque matin je viens m’asseoir ici,
étourdie de silence. Je la laisse faire
ce qu’elle sait faire.
Je laisse le marais salé,
de ses doigts gris de vieille femme,
raccommoder mon cœur,
petit point après petit point.
Elle coud lentement tandis que le soleil
se lève sur ses cheveux d’argent.
Elle tisse la chanson des oiseaux des bois
à celle des oiseaux des mers. Je ne connais pas
de plus beau canevas que celui-là :
la grive musicienne mêlée au goéland,
le merle doux aux oies sauvages,
le cliquetis minuscule de la vase avec
le bleu de la mer au loin.
Je ne bouge pas, j’écoute
la Vieille Mère du Marais
repriser méticuleusement
mon cœur
petit point après petit point. Et parfois
pour la distraire un peu je chante
tout bas, ou bien je lui dis un poème,
une prière émerveillée, et nous tissons ensemble
le nouveau matin.
Nous tissons tandis que
les marées montent et descendent,
très doucement, sur les mains sévères et ridées
du marais salé.
Ce matin j’ai pris avec moi
un recueil de Mary Oliver
qui raconte un millier de matins, comme celui-ci,
précieux et uniques. J’ai lu un des poèmes
à la Vieille Mère, je crois
que cela lui a plu.
Elle a levé bien haut dans le soleil
mon cœur étrangement tissé
de fils colorés.
J’y ai retrouvé
tous les miracles cueillis là :
le rouge rouillé des salicornes et le parfum des immortelles,
le sable doux sous mon pas lent,
le vent salé, la brume, les empreintes des bêtes, le lever de la lune.
Et les deux petits pins,
fragiles et braves,
qui gardent le sanctuaire.
La vieille a dit, qu’en penses-tu ?
Je ne crois pas que ça ira, ai-je menti,
il me faudra encore au moins mille matins
comme celui-ci. Elle a souri.
Puis elle a pris
un fil d’araignée couvert de rosée,
et s’est remise à coudre.
Je la laisse faire
ce qu’elle sait faire.
Les oiseaux chantent.
Pendant ce temps, loin d’ici, mais est-ce si loin vraiment ?
monte une marée sombre.
A des milliers de kilomètres de ce matin tranquille et tendre
un fou jette des milliers de bombes
sur des milliers d’innocents.
Combien de matins
faudra-t-il pour guérir ceux-là?
Combien de mains silencieuses et patientes
pour raccommoder le monde
petit point après petit point ?
Un petit retour sur quelques images de l’hiver dernier. La vieille déesse de l’hiver a soufflé sur les hauts plateaux, un souffle givré qui glace la terre. Elle a étalé son châle, recouvrant les alpages et les forêts d’une épaisse couche de neige. D’un coup de baguette, elle a figé les pins à crochet, les transformant en géants de givre. Et c’était le Grand Blanc.
Nos deux stages de l’ hiver 2021 ont bien tenu leurs promesses de blancheur dans un Vercors fermement sous l’emprise des esprits du nord
La trace d’ un renard solitaire nous guide vers un pâle soleil: l’ esquisse une belle courbe sur une immense page blanche – l’ occasion de s’émerveiller, de rêver… et de travailler ses avant plans
Des ambiances magiques d’un Vercors épuré nous attendent au petit matin
Et d’étranges êtres tels des géants de givre occupent le plateau
Les forêts se transforment en tableaux abstraits
Voici un retour en images sur les moments partagés lors de nos stages 2021
Je suis debout sous le petit noisetier à la lisière du bois.
Ce n’est pas l’espoir.
La nuit bleue s’enroule dans ses brumes froides,
J’allume une bougie,
Non,
Ce n’est pas l’espoir.
Je chante.
Il s’appelle Chevri,
Nous lui avons donné ce nom
mignon et enfantin, il lui va bien, il vient
Manger les blettes du jardin,
Et goûter les feuilles du vieux frêne,
Il vient gracieusement comme
Une aurore qui se lève.
Il joue avec nos chats près de la mare,
Dans la rosée rêveuse de l’été…
Un museau blond rencontre un museau noir,
Et derrière ma fenêtre, en souriant
Je chante.
Dans la forêt il gratte les feuilles brunes
Au pied des hêtres. La lune
Descend leurs échelles pâles et soyeuses
Pour se blottir auprès de lui.
Elle l’enveloppe d’une berceuse. C’est pour cela
Que les chevreuils, dans leur couche, n’ont jamais froid.
Ils sont venus avec leurs tronçonneuses,
Couper et couper, les vieux arbres sont
Tombés dans un
Déchirement de branches.
Dans les grandes balafres suintantes laissées par les engins
Je cherche ses empreintes en forme de cœur.
Le pivert chante encore.
Je le trouve aux pluies rousses d’octobre,
Il lèche l’herbe verte et grasse, puis
Redresse sa tête soudain, j’écoute avec lui
Cette vie tissée
De délices mouillés et de dangers.
Depuis mon affût je murmure
son nom
tout bas pour le rassurer.
Chevri. Je suis là mon ami.
Nommer c’est allumer un lien,
Un fil d’araignée léger et dansant
D’un cœur à un autre.
Je sens parfois le sien qui bat
Au galop étoilé de l’automne et aussi
Celui, étrange et lent, des arbres,
Chacun a un nom ici.
Et je sais qu’ils entendent mon cœur à moi
Quand je chante.
Je l’ai senti se froisser, juste après la sieste
Ce dimanche, j’ai dit
Que j’allais marcher jusqu’au petit noisetier
Et attendre
Que le vent du Nord emporte cette lourdeur soudaine.
Que tout irait bien.
Je les ai vus de loin
Au dessus du chemin, trop près de nos maisons…
Une ligne de vestes oranges, comme
Des drapeaux criards enfoncés dans la terre.
Laids et contents, et certains
Que j’allais passer bien gentiment,
En baissant la tête et serrant les dents.
Mais il y a, dans la prairie, entre eux et moi
Cette forme doucement courbée,
Une lune grise échouée.
Il y a mon cœur au galop, mon cœur terrifié,
Mes pieds qui avancent, qui savent déjà.
Chevri.
J’ai dit son nom en tombant à genoux
Dans l’herbe.
J’ai vu le trou
Béant à sa poitrine, et le silence
Rouge du sang tout autour.
Ils n’existent plus les autres, ils n’ont pas
De nom, ils flottent
Derrière le brouillard de ma douleur.
Nous sommes tous les deux,
Toi et moi
Et la Terre qui nous porte,
Chevri mon ami.
Je trace sur ton front
Une rune de protection
Et je chante pour toi
En pleurant.
Ils attendent au-delà des larmes,
Laids et gênés et certains
Que je vais partir bien gentiment,
En te laissant là.
Je reste, où pourrais-je aller maintenant dis-moi.
Ils vont venir,
Chevri mon ami, et je ne pourrai rien faire quand
Ils te ramasseront comme un tas de viande,
Et te marqueront du bracelet
Qu’ils ont chèrement acheté.
Ils diront que tu es à eux, en serrant
Fermement la ficelle autour de tes pattes
Délicates,
Tes pattes d’argent qui semaient des cœurs enchantés
Dans la fraîche forêt d’été.
Je ne pourrai rien faire mais ils devront l’entendre,
Mon chant rouge et puissant,
Ma tristesse sauvage,
Mon cri de furie, ma colère,
Car ma voix maintenant est celle de la terre,
à laquelle aucun salaud n’échappe.
Elle poursuit les fantômes jusqu’à leurs 4×4
Garés si près de nos maisons.
Dedans ils ont jeté le petit corps,
La lune souillée, la vie prise sans respect.
La mort donnée sans prière.
Ils fuient, leurs pauvres fusils entre les jambes. Je hurle, ils se hâtent, ils essaient de répondre, ils disent que ce n’est pas chez moi ici, mais il n’y a plus de place pour leurs mots imbéciles. Il n’y a plus personne pour écouter. Il n’y a plus personne pour avoir peur. J’ai disparu sous ma douleur, et je crie la chanson de la terre où mes pieds sont plantés. Je suis chez moi. Ma terre est celle où je pleure. Et elle maudit leur laideur. Ils sont des voleurs, avec leurs droits injustes, leurs bracelets de mort et leurs comptes truqués. Car c’était le dernier, celui-ci, le dernier brocard de ce coin de forêt saccagé, tous les autres ont déjà été tués. Qui vont-ils tirer la prochaine fois, la petite voisine de huit ans avec ses jolies couettes? notre chien? Que vont-ils prendre puisqu’il n’y a plus rien? Avec quelle autre vie vont-ils jouer, là à cent mètres de nos maisons? Car c’est un jeu n’est-ce pas? Un loisir pour des fantômes qui ne savent plus être des humains. Je crie encore et encore, ils s’éloignent. Mes mots dansent dans la fumée de leurs gaz d’échappement. Adieu Chevri.
Je marche jusqu’au petit noisetier à la lisière du bois.
La nuit est venue, je ne veux pas
Retourner chez moi.
Je me tiens debout, avec tout le courage
Que la Terre a soufflé en moi.
La Terre dévastée.
Ce n’est pas l’espoir.
J’allume la petite bougie,
Elle mêle sa danse dorée au deuil bleu de la nuit.
J’entends venir les premières chauve-souris.
Ce n’est pas l’espoir. C’est comme
La mère qui berce son enfant mourant,
La biche qui lèche le cadavre de son petit.
Je n’ai plus d’espoir.
Juste de l’amour.
Cela suffit peut-être…
La lune gibbeuse passe dans le ciel comme
Une errante en chemise déchirée.
Je chante.
La chanson de Chevri.
Pour vous accompagner dans ce portail, voici un beau poème de Sandrine, qui raconte un de ces moments de connexion avec l’automne, et qui nous rappelle que, lorsque nous nous sommes éloignés du miracle de la vie, il y a toujours de minuscules gardiens autour de nous qui ne demandent qu’à nous prendre la main pour nous montrer à nouveau le chemin.
Y a-t-il un nom pour ces rêves-là,
dans la forêt aux matins fragiles d’automne,
qui barrent le chemin ?
Bruyants et fardés, venus de trop loin, ceux qui volent
la chanson familière des feuilles sèches,
les larmes de soleil sur les dernières campanules.
Elles dodelinent leurs têtes mauves en soupirant
si tu savais tout ce que tu ne vois pas
quand tu les laisses t’embobiner
une fois de plus
à leurs fils soyeux séduisants…
Ces rêves-là
t’emportent ailleurs.
Et la vie n’y est pas.
Je suis là moi, lance dans un velours d’ailes
le mignon troglodyte.
Il m’est passé sous le nez et s’est posé
un instant
à la branche d’argent du vieux frêne ganté de mousse.
C’est comme
un seau d’eau fraîche renversé sur
ma tête soudain.
Le minuscule malin
sautille et s’ébouriffe et papillonne
et m’éclabousse de toute
sa présence légère,
avant de s’évanouir derrière
les voiles bleus du ciel.
Après lui
le chemin déroule ses cailloux blancs,
les hêtres secouent leurs plumes de cuivre,
les trembles
versent des parfums doux
comme des frissons,
et je suis là,
cette feuille ronde dans ma main,
cette vraie feuille avec ses veines
blondes creusées dans l’ombre autour,
et ses dents écorchées
par la saison passée.
Je suis là, il était temps
soufflent les campanules juste avant
de faner
doucement.
Au moment de notre stage chercheurs de lumières, nous sommes le jour de la lune noir et au seuil de la solstice d’été. Cet autre monde, qui se tient entre crépuscule et aube, est plus sombre que jamais, mais bien sûr, c’est dans la nuit la plus sombre que l’on voit la lumière des étoiles briller. C’est une belle métaphore pour la vie et assurément un moment magique à partager au coeur de la réserve des hauts plateaux. Les millions d’étoiles sont autant de joyaux dans la voûte céleste, et parmi elles s’ouvre un portail juste au dessus du Mont Aiguille. J’ai toujours su qu’il cachait quelque chose de magique, quelque chose d’oublié, et sous la Voie lactée dans l’obscurité de la lune noir, il révèle son secret…
Le soleil se lève pour nous offrir un nouveau jour, et un spectacle merveilleux.
Le soleil se couche sur les hauts plateaux et le ciel s’embrasse comme une aurore rose
Les ambiances de sous bois révèlent aussi des secrets pour ceux qui prennent le temps et laissent leur regard aller à la rencontre des ambiances poétiques de narcisses et des dernières tulipes sauvages
Un immense merci à tous les participants pour ces moments de partage, d’émerveillement, de connexion avec la nature et aussi pour votre confiance et votre enthousiasme bien sûr.
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Notre prochain stage Chercheurs de lumière aura lieu les 18 et 19 septembre
Trouvez toutes les infos ici: Stage photo Chercheurs de Lumière
En ce début du mois de mai, nous avons envie de partager avec vous une belle histoire. Nous avons tous besoin d’entendre de belles histoires car nos oreilles depuis plus d’un an en ont entendu de bien tristes, et, le monde étant ce qu’il est, il y en a certainement d’autres qui nous attendent au tournant. Alors, de temps à autre, il est utile de déguster une belle histoire, et de sentir sa chaleur douce envahir tout notre coeur comme un chocolat chaud après la neige. Et en plus, la nôtre d’histoire, c’est une histoire vraie, une de celles qui ramènent l’espoir, qui donnent envie de danser et de chanter. C’est une histoire d’arbres, et d’amour, et aussi de moustiques, ce qui peut sembler un peu étrange de prime abord, mais si vous prenez le temps de vous asseoir pour l’entendre, vous verrez que chaque chose y est à sa place, les plus petites, comme les plus grandes…
Il y a un proverbe que nous aimons beaucoup et qui nous donne du courage dans les moments où nos bras ont tendance à se baisser.
« Si tu as l’impression d’être trop petit pour faire une différence, essaye donc de dormir avec un moustique! »
Au lieu de passer notre vie à pester sur l’état du monde, nous pouvons choisir d’être des moustiques et de faire chanter nos petites ailes pour ne pas laisser l’humanité s’endormir.
Parfois c’est une chanson mélodieuse, comme ces Newsletter que nous vous envoyons et où nous essayons d’apporter un peu de lumière et d’optimisme. Parfois, ça grince un peu plus, et, qu’on se le dise une fois pour toute, il n’est pas toujours agréable d’être un moustique. Car être un moustique, c’est souvent être un emmerdeur. C’est piquer là où les autres n’ont pas envie qu’on vienne les déranger. Nous essayons d’être des moustiques pacifiques et ouverts, des moustiques raisonnables avec de bons arguments, mais nous avons beau faire, il arrive que ça gratte derrière 😉
Comme tous les bons moustiques, nous essayons de « faire une différence » dans le marécage où nous vivons, et la mairie de notre petit village en sait quelque chose 😉 Que ce soit pour interpeller sur la chasse le dimanche dans nos forêts magnifiques -et pleines de promeneurs émerveillés qui font des cibles faciles- ou bien pour protéger les haies bocagères, que nous parlions au nom des arbres, des oiseaux, des abeilles, des chevreuils, des blaireaux ou des cueilleurs de champignons, nous savons que, même en essayant d’y aller avec des pincettes, nous risquons de créer des tensions en soulevant les problèmes et de mettre nos élus, qui sont parfois aussi des amis, dans une situation délicate. Car il est bien difficile de maintenir la paix et l’harmonie dans les petites communes de campagne. Chacune de nos piqures peut être perçue comme un trouble à la paix sociale.
Mais nous sommes qui nous sommes. Nous ne pouvons pas partager notre émerveillement pour la nature et regarder sans broncher les blessures qui lui sont faites.
C’est là qu’elle commence notre belle histoire. Après plusieurs piqures qui ont bien gratté, et quelques pulvérisations de bombe anti-moustiques qui nous avaient laissés un peu tristes et amers.
Ce matin de printemps, Sandrine revenait de plusieurs semaines de vadrouille à la rencontre de quelques belles forêts et vieux arbres de France, en rapport avec notre prochain livre qui paraîtra en 2022 et qui est tout entier consacré à la forêt. Comme toujours, lorsque nous avons été quelque temps éloignés l’un de l’autre, la première chose que nous faisons c’est d’aller retrouver les bois derrière chez nous, et les arbres que nous connaissons tellement bien qu’ils sont comme de vieux amis. Le soleil coulait à flots à travers les branches encore nues, et les oiseaux faisaient une fête radieuse. Nous étions heureux. Nous nous arrêtions à chaque clairière familière pour y goûter la lumière d’avril, grimpions aux jolis points de vue qui surplombent les falaises, écoutions le rire gracieux des pics, nous arrêtions pour examiner les empreintes d’un chevreuil, et, pour terminer en beauté, nous décidâmes de passer par un cercle d’arbres, dans un petit creux abrité. On trouve là de jolis sapins blancs et des épicéas entourés de hêtres, et, au milieu des arbres, un coeur couvert de mousse où nous aimons nous asseoir pour rêver, méditer, écrire, tailler du bois, ou faire des rituels. Un refuge de douceur. Nous avons donné un nom à ce lieu: nous l’appelons le Nemeton. Les Nemeton étaient les sanctuaires des anciens druides, dans les forêts profondes de l’antiquité: des clairières, des cercles d’arbres, parfois aussi quelques pierres dressées. Des temples naturels qui honoraient la terre sacrée et où l’être humain pouvait toucher le lien qui l’unissait à la nature. Des lieux intacts, où les bêtes sauvages côtoyaient les vieux sages, où les chansons des oiseaux se mêlaient à celles des hommes.
Notre petit Nemeton, bien que plus récent, est tout aussi enchanté que les sanctuaires des anciens druides, et toutes les personnes à qui nous l’avons fait découvrir sont tombées sous le charme.
Imaginez, ce matin là, dans la lumière liquide de la forêt, la silhouette des grands sapins au loin, souriante comme une retrouvaille. La mélodie du merle, la paix déjà qui s’avance sur le chemin.
Et puis, nous ne les avions pas vu tout de suite, mais lorsque nous nous sommes approchés, ils nous ont troué le coeur aussi sûrement que des balles de chasseurs…
Des petits points rouges sur les troncs des arbres. Qui n’ont l’air de rien pour un promeneur étourdi. Des condamnations à mort. La moitié des arbres du Nemeton va être coupée. C’est comme si le soleil s’était noyé soudain. Printemps crucifié. Silence. Et le grand vide qui s’ouvre, là, dans la poitrine. Nous sommes rentrés à la maison sans un mot, murés chacun dans notre tristesse. La fête était finie.
Sans un mot toujours, Sandrine est montée dans le bureau. Elle a commencé un mail pour la mairie. Pas trop long ce mail. Elle était secouée. Trop secouée pour sortir sa longue liste d’arguments en faveur de la préservation des vieux arbres, pour parler de leur rôle indispensable dans la biodiversité, du carbone qu’ils stockent dans leur tronc et leurs anciennes racines et qui peut nous sauver d’un trop grand bouleversement climatique, des nutriments qu’ils envoient à leurs enfants-arbres, de leur espérance de vie, qui est immense, mais que l’homme a réduite à une adolescence. Non, elle n’a rien dit de tout ça. Elle en avait marre d’être un moustique. Une emmerdeuse. Comme ils disent dans Avatar, elle était « triste, et seulement triste. » Elle n’y croyait pas, mais elle ne pouvait pas rester là sans rien faire. Même si les arbres allaient mourir, elle devait essayer tout de même de parler pour eux.
Sans plus chercher à convaincre, elle a simplement dit: « ces arbres sont importants pour nous. » C’est l’argument le plus mauvais qu’un orateur pourrait trouver, on vous l’accorde. Mais nous avions déjà essayé tous les autres ces dernières années. Vu que nous savons que ces bois sont privés, elle a demandé le nom du propriétaire, pour essayer de plaider en faveur des grands sapins. D’expliquer qu’ils étaient nos amis. Elle a dit que c’était urgent. Vraiment urgent. une question de vie ou de mort.
La mairie a répondu quasi immédiatement. Avec un nom et un numéro de téléphone. Quand nous avons vu le nom, c’était comme une primevère ouverte sur un champ de ruine. On a recommencé à espérer…
Car le propriétaire des lieux était Michel, et franchement on n’aurait pas pu rêver mieux comme propriétaire. Michel, nous l’avons rencontré l’année dernière, après l’un de ces mails-moustiques où nous avions défendu les haies bocagères et qui avait fait beaucoup de vagues sur notre commune. Des vagues d’agacement ou de colère. Des vagues aussi de soutien et de remerciements. Les vagues nous secouent mais parfois elles ont du bon: sans elles nous n’aurions pas rencontré Michel et vous ne seriez pas en train de lire cette histoire…
Le début de ce premier échange avec Michel avait été tendu: il n’était pas content, notre mail avait blessé l’un de ses proches, et il nous en a parlé. Nous avons écouté. Parfois cela suffit: l’un parle, l’autre écoute. Et par-delà nos désaccords nous nous découvrons des points communs. Nous avons gardé contact, nous envoyant régulièrement des messages, partageant des choses inspirantes.
Quand Sandrine a vu le mail de la mairie, elle a tout de suite appelé Michel. Ils se sont donné rendez-vous au Nemeton. Et là, au milieu du cercle d’arbres, dans ce sanctuaire poétique où le soleil filtrait, les pieds enfoncés dans la mousse douce et le coeur battant, elle lui a répété ce qu’elle avait écrit dans le mail: que nous les aimions ces arbres. Et il n’en a pas fallu plus à Michel. « Comment je pourrais dire non à ça ? » a-t-il répondu. Puis, un peu plus tard dans la conversation, il a ajouté: « Quand on envoie de la lumière dans le monde, elle finit toujours par revenir sous une forme ou une autre. » C’est un chic type ce Michel, et nous lui en souhaitons plein, à lui aussi, de la lumière.
Alors voilà, les arbres du Nemeton sont sauvés. Ils vont pouvoir grandir pendant quelques années encore, peut-être allez savoir pourront-ils atteindre un âge vénérable, et les futures générations du village continueront de venir y rêver et y savourer le miracle de la vie. Peut-être…
Par-delà l’immense allégresse de savoir que ces sapins ne seront pas coupés, il y a pour nous plusieurs leçons derrière cette histoire:
> la première, on la connaît déjà, mais parfois le monde nous renvoie tellement de négativité qu’on peut l’oublier : il ne faut jamais perdre espoir et baisser les bras. On ne perd rien à essayer de changer le monde. Et même si 90% de nos efforts sont sans succès, les 10% restants valent le coup!
> la deuxième, c’est qu’on ne peut jamais prévoir de quelle manière les énergies que nous envoyons dans le monde, par nos actions, nos paroles, nos manières d’être, vont finir par revenir vers nous, ni à quel moment cela va arriver. Nous sommes parfois déçus par les résultats de nos efforts, et, quand on défend une belle cause, on voudrait que ça marche. Que ça marche là tout de suite. On le voudrait tellement que parfois on s’épuise dans cette attente. Cela nous est souvent arrivé dans nos engagements pour la nature. Il y a un très ancien texte sacré de l’Inde, qui s’appelle la Bhagavad Gita, qui soulève ce problème (comme quoi, c’est pas nouveau…) et nous offre une belle réponse: Préoccupons-nous de nos actions, et pas du résultat de nos actions. Si une cause est juste, levons-nous pour elle, même si elle semble sans espoir, même si nous risquons de nous prendre une claque ou un coup de bombe anti-moustiques. Levons-nous, non pas pour que ça marche, mais parce que c’est pour ça que nous sommes ici. Pas pour que ça soit rentable. Pas pour la réussite. Pas pour la reconnaissance. Pour l’action simplement, celle qui parle à notre coeur et donne un sens à notre vie. Faisons ce qui est bon et laissons le destin décider du reste. Cela vaut dans tous les domaines de l’existence.
> pour finir, la troisième leçon, et celle-ci nous avons bien l’intention de la garder en tête: l’amour parfois vaut tous les arguments. Car, ne nous y trompons pas, cette histoire est bien une histoire d’amour. Dans l’engagement écologique, les sentiments sont souvent moqués: si on parle de souffrance animale, ou, pire encore, de souffrance végétale (non mais quelle idée!), on se retrouve rapidement accusé de sensiblerie. On nous demande de vrais arguments. Surtout pas de l’émotion. Et ceux qui demandent cela le font pour une bonne raison: ils espèrent pouvoir nous opposer des arguments contraires, et on peut débattre longtemps ainsi, comme le faisaient les anciens sophistes de Grèce, pendant que la planète se fait ravager. Bien entendu les arguments ont leur place, et nous continuerons de les utiliser dans nos actions de moustiques. Mais l’amour aussi. Car nous ne sommes pas que des machines pensantes. Alors osons dire que nous aimons la nature, les arbres, les animaux, les insectes et les fleurs sauvages. Osons montrer notre tendresse sans avoir peur d’être ridicule. Un rapport du ministère de l’agriculture paru en 2020 s’inquiète face à la montée dans l’opinion publique de la préoccupation de « bien-être végétal ». Cela veut tout dire. Ils n’ont pas envie qu’on se mette à aimer les arbres et à se soucier de ce qu’ils peuvent ressentir. Surtout pas ça. On les embête déjà assez avec le bien-être animal. Ce n’est pas nos arguments qui leur font peu, mais notre amour. Il pourrait bien faire grincer leurs belles machines de destruction si parfaitement huilées… Et ça, ça nous donne encore plus envie d’aimer!
Le Nemeton rayonne sa magie et son mystère dans la forêt.
Alors, amis moustiques, osons revendiquer notre amour pour la nature, et n’oublions pas de maintenir le monde éveillé… pour que nos enfants aient de belles histoires à raconter 😉
En ce début de printemps et ce troisième confinement, l’envie nous est venue de partager avec vous un peu d’ennui, et beaucoup de poésie, car les deux, voyez-vous, vont infiniment bien ensemble 😉
Que la vie vous soit douce, et que le printemps verse sur vous ses trésors verts !
C’est le soir sous la hêtraie, derniers rebonds de soleil vert.
Rester couchée là, les heures glissées sur les troncs lisses, couvées lentement dans les lichens. Rien ne se passe vraiment, le vent tourne en rond sagement, les hommes appellent cela l’ennui. C’est bon.
C’est comme si
J’avais un peu plus de place
Pour respirer
Juste là
Dans le feuillage entrouvert…
La poitrine trop grande soudain,
La lumière versée aux clairières ébahies
Où les insectes flottent,
Des milliers de poussières de nacre, des flocons
Egarés au printemps.
Les mouches sont des petits miracles
Quand on a le temps.
J’aime les heures creuses,
Les noires couronnées ronronnent
A mon cœur sans fenêtres.
Il n’y a rien à faire. Le téléphone, au fond de ma poche, est éteint. Pas de réseau ici, c’est un de ces derniers lieux un peu magiques où « ça ne capte pas ». Pas même une minuscule barre, c’est sans espoir. C’est bon. La terre transpire
Son parfum lourd des soirs de juin.
Un merle bavard
Raconte la même histoire
D’amour
Mille fois entendue, les arbres jamais ne se lassent.
Moi non plus.
Les hommes appellent cela l’ennui.
Je signerais bien
Pour une éternité ici.
Je suis allée à l’Aubépine, celle qui
attend entre les mondes.
Je me tiens avec elle au seuil de la forêt
quand la nuit
à pas de loup
sort du souffle des arbres
pour s’étaler dans la prairie.
La première chouette allume
un frisson de lune.
Je me penche sous le vieux tronc craquelé
car elle ne te laisse pas debout l’Aubépine,
elle pousse sur ton dos et t’invite à t’asseoir pour
filer la laine blanche des heures
avec elle.
Blanche aussi la brume qui monte
et avale dans sa bouche lente
les fenêtres dorées de ma maison lointaine.
Es-tu prête ? me dit la vieille ensanglantée, puis
tout a disparu. Le silence
étendu aux branches ébouriffées
s’égoutte. J’écoute
les baies rouges tomber
doucement sur l’herbe givrée.
Tout bas je murmure le nom ancien de l’arbre
Huathe, Huathe,
apprends-moi vieille mère
dans la froide nuit d’hiver
comment aimer ce monde brûlant.
Comment
le traverser en tenant
des fruits tendres au milieu des épines.
Et puis, dis-moi,
peut-on avoir peur ?
Naturellement ! a ri l’ancienne
mais cela ne doit pas t’empêcher de fleurir.
Alors j’ai posé ma main sur la blessure
qu’elle a en bas du tronc,
et nous sommes restées longtemps
sans plus rien dire.
La brume est partie
accrochant ses jupons pâles
aux branches piquantes.
Au-dessus de ma tête, des étoiles mouillées
suspendues au vieil arbre
Se sont mises à sécher.