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Equinoxe d’automne

Pour vous accompagner dans ce portail, voici un beau poème de Sandrine, qui raconte un de ces moments de connexion avec l’automne, et qui nous rappelle que, lorsque nous nous sommes éloignés du miracle de la vie, il y a toujours de minuscules gardiens autour de nous qui ne demandent qu’à nous prendre la main pour nous montrer à nouveau le chemin.

Y a-t-il un nom pour ces rêves-là,

dans la forêt aux matins fragiles d’automne,

qui barrent le chemin ?

Bruyants et fardés, venus de trop loin, ceux qui volent

la chanson familière des feuilles sèches,

les larmes de soleil sur les dernières campanules.

Elles dodelinent leurs têtes mauves en soupirant

si tu savais tout ce que tu ne vois pas

quand tu les laisses t’embobiner

une fois de plus

à leurs fils soyeux séduisants…

Ces rêves-là

t’emportent ailleurs.

Et la vie n’y est pas.

Je suis là moi, lance dans un velours d’ailes

le mignon troglodyte.

Il m’est passé sous le nez et s’est posé

un instant

à la branche d’argent du vieux frêne ganté de mousse.

C’est comme

un seau d’eau fraîche renversé sur

ma tête soudain.

Le minuscule malin

sautille et s’ébouriffe et papillonne

et m’éclabousse de toute

sa présence légère,

avant de s’évanouir derrière

les voiles bleus du ciel. 

Après lui

le chemin déroule ses cailloux blancs,

les hêtres secouent leurs plumes de cuivre,

les trembles

versent des parfums doux 

comme des frissons,

et je suis là,

cette feuille ronde dans ma main,

cette vraie feuille avec ses veines

blondes creusées dans l’ombre autour, 

et ses dents écorchées

par la saison passée.

Je suis là, il était temps

soufflent les campanules juste avant

de faner

doucement.

Newsletter mai 2021: une belle histoire et des moustiques

En ce début du mois de mai, nous avons envie de partager avec vous une belle histoire. Nous avons tous besoin d’entendre de belles histoires car nos oreilles depuis plus d’un an en ont entendu de bien tristes, et, le monde étant ce qu’il est, il y en a certainement d’autres qui nous attendent au tournant. Alors, de temps à autre, il est utile de déguster une belle histoire, et de sentir sa chaleur douce envahir tout notre coeur comme un chocolat chaud après la neige. Et en plus, la nôtre d’histoire, c’est une histoire vraie, une de celles qui ramènent l’espoir, qui donnent envie de danser et de chanter. C’est une histoire d’arbres, et d’amour, et aussi de moustiques, ce qui peut sembler un peu étrange de prime abord, mais si vous prenez le temps de vous asseoir pour l’entendre, vous verrez que chaque chose y est à sa place, les plus petites, comme les plus grandes…

 

Et un peu de sagesse minuscule pour démarrer…

Il y a un proverbe que nous aimons beaucoup et qui nous donne du courage dans les moments où nos bras ont tendance à se baisser. 

« Si tu as l’impression d’être trop petit pour faire une différence, essaye donc de dormir avec un moustique! »

Au lieu de passer notre vie à pester sur l’état du monde, nous pouvons choisir d’être des moustiques et de faire chanter nos petites ailes pour ne pas laisser l’humanité s’endormir.

Parfois c’est une chanson mélodieuse, comme ces Newsletter que nous vous envoyons et où nous essayons d’apporter un peu de lumière et d’optimisme. Parfois, ça grince un peu plus, et, qu’on se le dise une fois pour toute, il n’est pas toujours agréable d’être un moustique. Car être un moustique, c’est souvent être un emmerdeur. C’est piquer là où les autres n’ont pas envie qu’on vienne les déranger. Nous essayons d’être des moustiques pacifiques et ouverts, des moustiques raisonnables avec de bons arguments, mais nous avons beau faire, il arrive que ça gratte derrière 😉

Comme tous les bons moustiques, nous essayons de « faire une différence » dans le marécage où nous vivons, et la mairie de notre petit village en sait quelque chose 😉 Que ce soit pour interpeller sur la chasse le dimanche dans nos forêts magnifiques -et pleines de promeneurs émerveillés qui font des cibles faciles- ou bien pour protéger les haies bocagères, que nous parlions au nom des arbres, des oiseaux, des abeilles, des chevreuils, des blaireaux ou des cueilleurs de champignons, nous savons que, même en essayant d’y aller avec des pincettes, nous risquons de créer des tensions en soulevant les problèmes et de mettre nos élus, qui sont parfois aussi des amis, dans une situation délicate. Car il est bien difficile de maintenir la paix et l’harmonie dans les petites communes de campagne. Chacune de nos piqures peut être perçue comme un trouble à la paix sociale. 

Mais nous sommes qui nous sommes. Nous ne pouvons pas partager notre émerveillement pour la nature et regarder sans broncher les blessures qui lui sont faites. 

 

 

Une histoire qui commence bien …

C’est là qu’elle commence notre belle histoire. Après plusieurs piqures qui ont bien gratté, et quelques pulvérisations de bombe anti-moustiques qui nous avaient laissés un peu tristes et amers.

Ce matin de printemps, Sandrine revenait de plusieurs semaines de vadrouille à la rencontre de quelques belles forêts et vieux arbres de France, en rapport avec notre prochain livre qui paraîtra en 2022 et qui est tout entier consacré à la forêt. Comme toujours, lorsque nous avons été quelque temps éloignés l’un de l’autre, la première chose que nous faisons c’est d’aller retrouver les bois derrière chez nous, et les arbres que nous connaissons tellement bien qu’ils sont comme de vieux amis. Le soleil coulait à flots à travers les branches encore nues, et les oiseaux faisaient une fête radieuse. Nous étions heureux. Nous nous arrêtions à chaque clairière familière pour y goûter la lumière d’avril, grimpions aux jolis points de vue qui surplombent les falaises, écoutions le rire gracieux des pics, nous arrêtions pour examiner les empreintes d’un chevreuil, et, pour terminer en beauté, nous décidâmes de passer par un cercle d’arbres, dans un petit creux abrité. On trouve là de jolis sapins blancs et des épicéas entourés de hêtres, et, au milieu des arbres, un coeur couvert de mousse où nous aimons nous asseoir pour rêver, méditer, écrire, tailler du bois, ou faire des rituels. Un refuge de douceur. Nous avons donné un nom à ce lieu: nous l’appelons le Nemeton. Les Nemeton étaient les sanctuaires des anciens druides, dans les forêts profondes de l’antiquité: des clairières, des cercles d’arbres, parfois aussi quelques pierres dressées. Des temples naturels qui honoraient la terre sacrée et où l’être humain pouvait toucher le lien qui l’unissait à la nature. Des lieux intacts, où les bêtes sauvages côtoyaient les vieux sages, où les chansons des oiseaux se mêlaient à celles des hommes. 

Notre petit Nemeton, bien que plus récent, est tout aussi enchanté que les sanctuaires des anciens druides, et toutes les personnes à qui nous l’avons fait découvrir sont tombées sous le charme.

Imaginez, ce matin là, dans la lumière liquide de la forêt, la silhouette des grands sapins au loin, souriante comme une retrouvaille. La mélodie du merle, la paix déjà qui s’avance sur le chemin. 

 

Triste et seulement triste…

Et puis, nous ne les avions pas vu tout de suite, mais lorsque nous nous sommes approchés, ils nous ont troué le coeur aussi sûrement que des balles de chasseurs…

Des petits points rouges sur les troncs des arbres. Qui n’ont l’air de rien pour un promeneur étourdi. Des condamnations à mort. La moitié des arbres du Nemeton va être coupée. C’est comme si le soleil s’était noyé soudain. Printemps crucifié. Silence. Et le grand vide qui s’ouvre, là, dans la poitrine. Nous sommes rentrés à la maison sans un mot, murés chacun dans notre tristesse. La fête était finie. 

Sans un mot toujours, Sandrine est montée dans le bureau. Elle a commencé un mail pour la mairie. Pas trop long ce mail. Elle était secouée. Trop secouée pour sortir sa longue liste d’arguments en faveur de la préservation des vieux arbres, pour parler de leur rôle indispensable dans la biodiversité, du carbone qu’ils stockent dans leur tronc et leurs anciennes racines et qui peut nous sauver d’un trop grand bouleversement climatique, des nutriments qu’ils envoient à leurs enfants-arbres, de leur espérance de vie, qui est immense, mais que l’homme a réduite à une adolescence. Non, elle n’a rien dit de tout ça. Elle en avait marre d’être un moustique. Une emmerdeuse. Comme ils disent dans Avatar, elle était « triste, et seulement triste. » Elle n’y croyait pas, mais elle ne pouvait pas rester là sans rien faire. Même si les arbres allaient mourir, elle devait essayer tout de même de parler pour eux. 

Sans plus chercher à convaincre, elle a simplement dit: « ces arbres sont importants pour nous. » C’est l’argument le plus mauvais qu’un orateur pourrait trouver, on vous l’accorde. Mais nous avions déjà essayé tous les autres ces dernières années. Vu que nous savons que ces bois sont privés, elle a demandé le nom du propriétaire, pour essayer de plaider en faveur des grands sapins. D’expliquer qu’ils étaient nos amis. Elle a dit que c’était urgent. Vraiment urgent. une question de vie ou de mort.

La mairie a répondu quasi immédiatement. Avec un nom et un numéro de téléphone. Quand nous avons vu le nom, c’était comme une primevère ouverte sur un champ de ruine. On a recommencé à espérer…

Car le propriétaire des lieux était Michel, et franchement on n’aurait pas pu rêver mieux comme propriétaire. Michel, nous l’avons rencontré l’année dernière, après l’un de ces mails-moustiques où nous avions défendu les haies bocagères et qui avait fait beaucoup de vagues sur notre commune.  Des vagues d’agacement ou de colère. Des vagues aussi de soutien et de remerciements. Les vagues nous secouent mais parfois elles ont du bon: sans elles nous n’aurions pas rencontré Michel et vous ne seriez pas en train de lire cette histoire…

Le début de ce premier échange avec Michel avait été tendu: il n’était pas content, notre mail avait blessé l’un de ses proches, et il nous en a parlé. Nous avons écouté. Parfois cela suffit: l’un parle, l’autre écoute. Et par-delà nos désaccords nous nous découvrons des points communs. Nous avons gardé contact, nous envoyant régulièrement des messages, partageant des choses inspirantes. 

Quand Sandrine a vu le mail de la mairie, elle a tout de suite appelé Michel. Ils se sont donné rendez-vous au Nemeton. Et là, au milieu du cercle d’arbres, dans ce sanctuaire poétique où le soleil filtrait, les pieds enfoncés dans la mousse douce et le coeur battant, elle lui a répété ce qu’elle avait écrit dans le mail: que nous les aimions ces arbres. Et il n’en a pas fallu plus à Michel. « Comment je pourrais dire non à ça ? » a-t-il répondu. Puis, un peu plus tard dans la conversation, il a ajouté: « Quand on envoie de la lumière dans le monde, elle finit toujours par revenir sous une forme ou une autre. » C’est un chic type ce Michel, et nous lui en souhaitons plein, à lui aussi, de la lumière.

 

La morale de l’histoire …

Alors voilà, les arbres du Nemeton sont sauvés. Ils vont pouvoir grandir pendant quelques années encore, peut-être allez savoir pourront-ils atteindre un âge vénérable, et les futures générations du village continueront de venir y rêver et y savourer le miracle de la vie. Peut-être… 

Par-delà l’immense allégresse de savoir que ces sapins ne seront pas coupés, il y a pour nous plusieurs leçons derrière cette histoire:

> la première, on la connaît déjà, mais parfois le monde nous renvoie tellement de négativité qu’on peut l’oublier : il ne faut jamais perdre espoir et baisser les bras. On ne perd rien à essayer de changer le monde. Et même si 90% de nos efforts sont sans succès, les 10% restants valent le coup! 

> la deuxième, c’est qu’on ne peut jamais prévoir de quelle manière les énergies que nous envoyons dans le monde, par nos actions, nos paroles, nos manières d’être, vont finir par revenir vers nous, ni à quel moment cela va arriver. Nous sommes parfois déçus par les résultats de nos efforts, et, quand on défend une belle cause, on voudrait que ça marche. Que ça marche là tout de suite. On le voudrait tellement que parfois on s’épuise dans cette attente. Cela nous est souvent arrivé dans nos engagements pour la nature. Il y a un très ancien texte sacré de l’Inde, qui s’appelle la Bhagavad Gita, qui soulève ce problème (comme quoi, c’est pas nouveau…) et nous offre une belle réponse: Préoccupons-nous de nos actions, et pas du résultat de nos actions. Si une cause est juste, levons-nous pour elle, même si elle semble sans espoir, même si nous risquons de nous prendre une claque ou un coup de bombe anti-moustiques. Levons-nous, non pas pour que ça marche, mais parce que c’est pour ça que nous sommes ici. Pas pour que ça soit rentable. Pas pour la réussite. Pas pour la reconnaissance. Pour l’action simplement, celle qui parle à notre coeur et donne un sens à notre vie.  Faisons ce qui est bon et laissons le destin décider du reste. Cela vaut dans tous les domaines de l’existence.

> pour finir, la troisième leçon, et celle-ci nous avons bien l’intention de la garder en tête: l’amour parfois vaut tous les arguments. Car, ne nous y trompons pas, cette histoire est bien une histoire d’amour. Dans l’engagement écologique, les sentiments sont souvent moqués: si on parle de souffrance animale, ou, pire encore, de souffrance végétale (non mais quelle idée!), on se retrouve rapidement accusé de sensiblerie. On nous demande de vrais arguments.  Surtout pas de l’émotion. Et ceux qui demandent cela le font pour une bonne raison: ils espèrent pouvoir nous opposer des arguments contraires, et on peut débattre longtemps ainsi, comme le faisaient les anciens sophistes de Grèce, pendant que la planète se fait ravager. Bien entendu les arguments ont leur place, et nous continuerons de les utiliser dans nos actions de moustiques. Mais l’amour aussi. Car nous ne sommes pas que des machines pensantes. Alors osons dire que nous aimons la nature, les arbres, les animaux, les insectes et les fleurs sauvages. Osons montrer notre tendresse sans avoir peur d’être ridicule. Un rapport du ministère de l’agriculture paru en 2020 s’inquiète face à la montée dans l’opinion publique de la préoccupation de « bien-être végétal ». Cela veut tout dire. Ils n’ont pas envie qu’on se mette à aimer les arbres et à se soucier de ce qu’ils peuvent ressentir. Surtout pas ça. On les embête déjà assez avec le bien-être animal. Ce n’est pas nos arguments qui leur font peu, mais notre amour. Il pourrait bien faire grincer leurs belles machines de destruction si parfaitement huilées… Et ça, ça nous donne encore plus envie d’aimer!

Le Nemeton rayonne son mystère et sa magie dans la forêtLe Nemeton rayonne sa magie et son mystère dans la forêt.

 

Alors, amis moustiques, osons revendiquer notre amour pour la nature, et n’oublions pas de maintenir le monde éveillé… pour que nos enfants aient de belles histoires à raconter 😉

Automne 2020, brame du cerf et alchimie

 

Etre photographe, c’est s’intéresser aussi au sens profond de cet art qu’on a fait sien. Savoir pourquoi on fait les choses, la plupart du temps cela aide à mieux les faire! Par certains côtés, la photographie est une forme de témoignage, une manière d’attraper un instant éphémère, d’en fixer la réalité et l’intensité. L’instant passe, mais l’image reste et parle. Elle est la gardienne de nos mémoires et de nos moments de vie. L’éclaircie qui perce la brume, les premiers sourires de notre enfant, et aussi la douleur de la guerre, ou celle d’une forêt en flammes. Mais la photographie est plus que cela: c’est une forme de créativité, et créer c’est transformer le réel, notre regard a ce pouvoir là. Et il suffit de regarder les photos des uns et des autres en stage, les différentes restitutions du même moment que nous avons tous partagé, pour voir que chaque image est un acte de création. 

Parfois c’est facile, la lumière est une bénédiction, le paysage est harmonieux, il n’y a qu’à appuyer sur le déclencheur, et hop! Mais parfois… La météo n’est pas ce que nous espérions, il y a cette clôture qui vient tout gâcher, ou l’animal qu’on attend depuis des heures et qui ne sort pas là où on l’espérait. C’est là que la photo peut devenir alchimie, transformer l’obstacle en opportunité, la déception en tremplin de l’imagination, et le plomb en or.

Lors de notre dernier stage photo en octobre, nous avons eu une invitée surprise, à laquelle nous n’avions pas envoyé de bulletin d’inscription: la tempête Alex! Pour être honnêtes, on a eu beaucoup de mal à s’extirper de notre lit le samedi matin, le vent avait sifflé toute la nuit à nos fenêtres, et la pluie tambouriné, et il faisait froid, et zut, et zut! Mais nos stagiaires nous attendaient, pleins d’espoir après avoir vu de magnifiques images sur le Vercors en automne, et on est parti tous ensemble vaille que vaille dans le vent hurlant et la pluie battante. 

Ce ne fut pas toujours simple, on a eu froid parfois, on a dû revoir le programme prévu, s’adapter, inventer, garder la foi et le sourire. Et l’alchimie s’est produite, le soleil qui perce, les nuages qui roulent sur les crêtes, la beauté sauvage du vent dans les arbres, la forêt qui se révèle, nappée de brumes et de mystères. De l’or! Notre or d’alchimiste issu des jours de plombs! Et en prime pour nous, des rencontres fortes avec des personnes passionnantes, des flots de chaleur humaine et de bonne humeur, nous sommes revenus heureux et reboostés pour des semaines! 

Nous vous invitons à une balade émerveillée sur ces trésors d’automne: retrouvez les images du stage et une sélection de nos photos de septembre et octobre sur le Vercors, dans la galerie ci-dessous. 

 

Comme font les biches…

Je me suis couchée là, dans les feuilles d’automne,

Lovée en boule au milieu du taillis de hêtres,

Je me suis couchée comme font les biches,

Le sol lentement gratté, l’odeur de la terre,

Cette couche vivante où des êtres microscopiques, secrètement,

Recréent le monde,

Au pied du vieux sorbier qui ensanglante le ciel.

Je lui ai demandé de veiller sur moi – ainsi font les biches –

Mais n’ai pas eu le temps d’entendre sa réponse.

Je me suis laissée descendre comme une goutte de pluie

Dans ce creux ourlé d’ombre

Aux lèvres blondes de la clairière. Parfois

J’ai envie de bâtir des murailles de pierre

Alors qu’il suffit

D’un fourré léger et tranquille, où les mouches,

En noires armures, tournent.

J’ai dormi, confiante et vulnérable,

Comme font les biches.

J’ai goûté leur sommeil aux bras bruns de la terre.

Je les ai suivies à la lisière des mondes,

Tissant mes rêves au cri du pic noir,

Au parfum de l’humus, aux soubresauts

Du soleil de dix heures.

J’ai tiré sur moi la couverture des feuilles tintantes,

Des faînes poilues et du vent de septembre.

Je n’ai pas eu froid. Je n’ai pas eu peur, même quand

La terre a tremblé sous le sanglier.

Un lièvre, dans un cercle à côté s’est couché.

J’ai deviné les herbes sifflées aux flancs âcres du renard.

Et cru entendre le loup gris qui vit ici

Me regarder de ses yeux de silence.

Juste quand j’allais me réveiller, le pigeon ramier a murmuré

Sa berceuse rassurante

Prends ton temps je suis là, prends ton temps ça ira.

Alors

J’ai glissé ma main dans le drap doux des feuilles,

Bougé un peu dans ma couche chantante

Comme font les biches,

Et, doucement,

Commencé à lécher

Le sang de mes plaies.

La sagesse des sauterelles

La première heure, je la passe avec les sauterelles. Elles viennent, curieuses et légères, sur la couverture que j’ai étendue là, à la lisière de la clairière de Malatra. Elles grimpent sur mes mains. J’aime le pas des sauterelles. Ce n’est pas la caresse frissonnante et pressée des fourmis, c’est un peu plus rugueux, un peu plus saccadé, cela prend son temps, avec tout de même un brin d’appréhension. Dis-moi, as-tu déjà senti le baiser d’une sauterelle ? Ce pincement qui fait sursauter, mais qui n’est pas la douleur encore, et je bouge ma main soudain, quand elle colle sa bouche étrange à ma peau. La voici qui s’envole affolée, je me confonds en excuses et je ris. C’est bon de rire, ça faisait longtemps je crois.

Les sauterelles d’ici ne sont pas farouches et pardonnent facilement. Elles reviennent sur le doigt plein de promesses que je leur tends, je les laisse m’explorer. Parfois je m’assoupis, bercée par la chanson du vent dans les feuilles et les derniers brames rauques des cerfs fatigués. Les cerfs… je les ai espérés, tapie dans l’ombre de l’affût, des jours durant, aux petits matins frileux, aux soirs de mélancolie rose. J’ai attendu, humble mendiante de leur passage rayonnant, grisée de leurs parfums âcres, tous mes sens aiguisés comme une douleur. Ils sont venus parfois, quelques secondes offertes, une pièce d’ or jetée à mon épuisement. Et le reste du temps, juste la chute assourdissante de chaque feuille brune que j’entends se détacher de l’arbre et frapper le sol comme une explosion. Et aussi le vent du Nord dans l’herbe fanée des clairières. Je l’aime bien, le vent du Nord. Il n’est pas lunatique comme celui du Sud, il souffle sa fraîcheur raisonnable sur mes brûlures d’espoir.

Avec les sauterelles, il n’y a rien à espérer. C’est reposant. Elles ne cessent pas leur exploration, et je me demande comment c’est ma peau, sous leurs pattes sèches et leurs yeux étranges. J’aime bien les questions qui ne servent à rien vois-tu. Et le temps qui passe. Et le vent qui souffle.

J’ai sorti mon carnet, elles sont toujours là. J’aide celle-ci, toute verte, à grimper sur mon stylo, et nous écrivons ensemble le délicieux vide d’ici. Des ombres dansent sur les troncs des hêtres. J’aime le gris-bleu de leur écorce mangée de lichens. J’aime être là et ne rien faire. Et bâiller. Et sentir cette larme au creux de mon œil, surprise de retrouver la vie. La paresse est mal vue en ces temps affairés, elle ralentit la sacro-sainte croissance. Chacun se doit d’être efficace et vaque, bien sérieusement, à ses occupations. On pianote, on répond aux mails, aux ordres, au téléphone, on avale les rêves qu’on nous vend, et les pilules pour dormir. Je sais bien tout cela, mais je me laisse avoir, encore, parfois. Ne surtout pas passer pour un parasite. Dis-moi, les sauterelles sont-elles des parasites ? Elles flânent depuis plus d’une heure sur ma main, et, en frottant leurs ailes de dentelle, elles font rimer paresse avec

caresse

sagesse

tendresse

et aussi fesses !

Mais c’est juste pour entendre mon rire, encore, encore, rebondir aux troncs bleus des hêtres, encore, encore jusqu’aux princes enroués cachés dans la forêt.

la cascade et le saule

La cascade et le saule

 

J’ai traversé la forêt sèche, aux silences suffoqués. As-tu vu les feuilles brunes ?

Les entends-tu tomber 

Sur le chemin comme du papier froissé ?

Ce serait beau, ces feuilles, si c’était l’automne.

On est à peine au milieu de l’été.

Les gens boivent à la terrasse ombragée du café.

Ainsi font les hommes

Tandis que les arbres lentement meurent.

Et que les sources tarissent. As-tu déjà entendu le dernier souffle d’une source ?

La dernière note, définitive, d’un requiem…

Dans les maisons des riches et les bureaux on monte la clim,

Les centrales nucléaires tournent à plein régime

Et recrachent leurs eaux brûlantes

Aux rivières épuisées où flottent des poissons gris

Dont personne ne se soucie.

Et, partout, les usines font bouillir la planète

Continuant, inlassablement, d’envoyer leur haleine

Bruyante au firmament.

Mes yeux piquent, je suis allée à la cascade.

Elle laisse couler, encore,

Sur son grand ventre de mousse verte

Un sillon blanc d’espoir écumant.

Le saule d’argent qui la garde

Enfonce ses racines souples dans la roche.

Des libellules tatouent des spirales bleues sur le ciel tremblant de la canicule.

Tout est beau, tellement,

Que je me suis mise à pleurer.

J’ai mis mes mains dans l’eau glacée

Fait une prière pour que la pluie arrive

Et pour que mon cœur ne devienne pas sec,

Je n’aime pas ces fissures de colère

Qui grandissent là, les sens-tu toi aussi ?

Une prière au saule, pour qu’il m’apprenne à danser

Avec ce monde brûlant, ce monde aveugle,

Qui mène sa gigue endiablée

Dans les feuilles mortes de l’été

Et s’offre une dernière bière au bord du précipice.

Une prière aux libellules bleues

Pour qu’elles rattrapent ma joie envolée

Ma foi trébuchée.

Dis-moi, toi qui écoute, les aurais-tu

Par hasard

Croisées ?

Aulne et Ogham

FEARN, L’AULNE DE L’OGHAM

Les arbres ont une âme qui parfois se montre à ceux qui prennent le temps d’écouter… Cette photo, en pose longue, a été prise dans une forêt d’aulnes en Ecosse, l’automne dernier. Un moment vraiment mystique, la rivière n’est pas loin, on l’entend chanter doucement. Et aussi le vent dans les feuilles. Avec Matt, nous marchons en silence sur le petit sentier au milieu des arbres. Non loin d’ici se trouve un cimetière qui abriterait un très ancien sanctuaire dédié à la déesse Brighid, j’avais très envie de m’y rendre, et le chemin passe par ce bois un peu étrange. Dans une ouverture marécageuse où la rivière vient parfois déborder, on rencontre ce vieil aulne, avec ses deux grosses branches levées vers le ciel comme des bras, et son tronc bossu. La plupart des noms d’arbres en français sont du genre masculin: un hêtre, un chêne, un bouleau, un aulne… Le mot arbre lui-même est masculin. Et pourtant, souvent, dans mes contacts avec les arbres, je sens que certains sont profondément féminins, et, dans l’ogham celte, l’alphabet magique des druides, plusieurs arbres ont des énergies vraiment féminines, comme le bouleau ou le saule. Je me suis souvent interrogée pour l’aulne, qui pousse au bord de l’eau… jusqu’à ce matin en Ecosse. 

Voici une aulne. Elle danse au milieu des herbes jaunies. Voici une déesse arbre, solide et forte, elle garde la rivière et ce côté de la rive où se trouve le vieux sanctuaire. Elle se tient au seuil des mondes. Les aulnes enfoncent leurs racines dans l’eau, ils ont les pieds dans le Sidh, l’autre monde des celtes qui s’étale derrière les voiles. Ils nous montrent le chemin de l’invisible, la porte de l’âme. Dans l’Ogham celte, Fearn, l’Aulne, est la passerelle entre les mondes, il évoque la protection et la guidance des dieux. Les racines d’aulne renforcent et stabilisent les berges des rivières, son bois est utilisé comme pilier pour les ponts, car il est imputrescible. La cité de Venise est toute entière construite sur des fondations en aulne, et, pendant un instant, j’imagine des déesses aulnes portant la ville de leurs bras sombres et mouillés! C’est un arbre qui parle de l’invisible, mais aussi de résistance, et de ténacité. De vie et de mort. Son bois rouge qui semble saigner quand on le coupe, était associé par les anciens à la mort et aux sorcières. Celle-ci qui danse dans la brise pourrait bien en être une, avec ces deux bosses sur le tronc solide, qui lui font comme deux seins, et les deux creux plus haut sont ses yeux d’ombre. Elle me raconte en silence les mystères du monde. Il n’y a qu’à s’asseoir et écouter. Nous restons un long moment avec elle, dans le murmure de la lente rivière, et des voix qui chantent derrière le voile… 

la naissance des faons

Le mois de juin arrive, il est temps pour nous de quitter le monde des hommes pour retrouver la forêt enchantée où les faons viennent tout juste de naître. Voici le récit d’un des précieux instants trouvés au fond des bois….

La bonne fée

Dans la forêt enchantée, aux premiers jours de juin, les faons naissent entre les cuisses veloutées des biches. Ils glissent doucement dans l’herbe grasse des clairières, mouillés et surpris. La Terre est leur berceau, la grive musicienne chante au-dessus. Et les mouches déjà ronronnent.

J’attends leur venue, roulée dans l’aube frileuse, ou blottie au tronc d’un vieux hêtre. Immobile, silencieuse. Et patiente. La vie prend son temps pour grandir ici, et la hâte n’a pas sa place. Les heures fondent aux branches dansantes des arbres, la lumière du matin arrive comme un miracle. Dans l’immense forêt sauvage, je sais que quelque part un faon est en train de naître. Léché tendrement par sa mère. Je sais, et cela me suffit. Je le verrai peut-être passer un peu plus tard, rêveur et maladroit, aux flancs de la biche aux aguets. Ou peut-être pas. Qu’importe. Nous partageons pour quelques jours le parfum âpre de la forêt, les ronds blonds que le soleil jette à travers les feuilles et qui tremblent sur la mousse. Nous partageons le vent et la caresse argentée des averses. La douceur blanche des aspérules et le cri du pic noir quand il fait glisser sur les arbres son voile de mélancolie. Nous partageons ce petit morceau de vie fragile et lumineuse.

Tapie dans l’ombre, je pose lentement une main sur la Terre et je murmure tout bas une bénédiction. Que la vie, petit être, te soit douce et facile. Que la forêt te garde en sécurité. Que ton herbe soit verte et nourrissante et que les fusils se détournent de toi et des tiens. Je viens pour cela et pour rien d’autre, ces quelques mots confiés au vent tiède du mois de juin. Ma prière de bienvenue. Et quand une biche passe avec son faon éclaboussé de rosée, je me penche à peine, derrière le frou-frou vert des feuilles, et je souris sans qu’ils me voient. Comme la bonne fée sur le berceau d’une princesse.

Voyage avec la lune

C’est ce soir. Elle est pleine la lune, on l’attend. Elle va prendre son temps pour monter les hautes falaises de Roche Rousse, leur muraille rose fond déjà dans la nuit. Dans notre maison, j’ai coupé l’électricité, je leur ai juste dit, c’est ce soir, et nous avons joyeusement allumé les chandelles. En nous rapprochant un peu plus les uns des autres. Comme les hommes d’avant, collés autour du feu, et qui allaient au même souffle que la terre.

Nos voix dansent aux flammes des bougies

L’ombre au-delà, comme une bordure de velours

Et le rêve déjà, s’entrouvre en murmurant, c’est ce soir…

Puis la forêt. Nous marchons sur le sentier, dans ma main il y a le poids familier de la lanterne. Je la porte en retrait, un peu derrière la hanche, oui, marcher devant, et simplement la savoir là. Elle n’éclaire pas vraiment, la lanterne, mais jette des reflets mouvants sur le feuillage au-dessus, qui fait couler sur nous des caresses fauves, et c’est comme un tunnel, magique et vivant, on se laisse avaler avec ravissement. Les troncs des hêtres surgissent de chaque côté, tremblants et pâles, puis s’évanouissent, tandis que vient, du fond des bois, un cri qu’on ne reconnaît pas.

Un soupçon d’inquiétude peut-être… juste ce qu’il faut pour être vraiment là, le cœur et les tripes éveillés, j’aime ça. Et chaque pas, solide et doux, qui cherche la terre, les genoux un peu plus fléchis que d’habitude, le pied attentif, le corps souple et silencieux, animal. Ça crie à nouveau, par-delà la chair humide de la nuit, puis un froissement d’ailes, là, juste au-dessus du frisson dans mon cou. Je sursaute, Matt rit tout bas, il y a des choses qui ne changent pas…

C’est ce soir, on devine la grande clairière, sa lueur de jade mouillée d’ombre, et, bientôt, la chanson des hautes herbes sur les jambes. Le premier épicéa, immense, longue courbure de branches qui invitent cérémonieusement à entrer. La lune est cachée encore, et déjà tout est clair. Des tapis d’euphraise scintillent et déroulent le chemin jusqu’à la falaise qui plonge vers la Bourne en bas. On s’arrête là, à la lisière étrange des mondes. On s’assied et on ne dit rien. Ni parole, ni chanson, ni prière. Ce soir, on veut juste être avec elle. L’attendre doucement, sereins, sans impatience. Etre là, comme les sept épicéas que je compte devant nous, ils se tiennent silencieux, gardiens anciens du sanctuaire. Etre là comme les chouettes immobiles et farouches, comme les pierres de calcaire éparpillées au bord de la clairière. Comme la sauterelle qui grince d’amour aux étoiles et suit humblement son petit fil de vie, sans imaginer que le monde lui appartient. Oui être là avec elle, avec eux, avec toi. Ma tête sur tes cuisses et l’odeur sucrée de la terre, des chamois grattent les feuilles mortes derrière nous, je m’endors un peu je crois, la nuit est blanche comme un matin.

Et soudain, cette poussée énorme de lumière, cette fissure au crâne de la falaise rousse, et la lune est là, ronde et ruisselante, tendrement soulevée par les branches des sept sages. On se lève, et on marche vers elle. Tellement belle.

Le retour est un voyage, on la laisse nous emporter. Dans la forêt d’opale, sa lumière coule entre les arbres, s’étale en cercles d’argent, sur lesquels on pose le pied, délicatement. Elle glisse des anneaux de nacre à nos doigts, souffle sur nos joues, cascade à nos voix.

Sur les troncs des hêtres, elle enroule

En bleu et gris, des aquarelles

Que ma main frôle, miracles éblouis.

Et quand on sort sur la prairie

Là, juste avant

De regagner le port paisible de notre maison

Elle allume au bord du sentier

Des frissons d’écumes argentées, des lumières en bulles, des étoiles givrées

Poussées là dans l’herbe qui n’en revient pas

je me penche pour comprendre, et puis non

Je n’ai pas envie de savoir

Je veux juste rêver encore un peu

Garder encore un peu mes yeux d’enfant

Et voler en enfonçant mes doigts blancs

Sur la crinière douce tellement de la lune

Qui file sur le Plateau endormi.

Instant précieux

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Ce matin, bien avant les hommes, tu suis le chemin silencieux, frotté de l’odeur des biches. Le frisson de la clairière par-delà les feuilles et, plus tard, la caresse du premier soleil sur l’herbe douce.

Tu as appuyé ton dos contre un frêne moussu. Et tu restes assis là, dans le souffle des arbres, la vague ondulante et tiède qui glisse sur la forêt et vient lécher ton visage. Il y a du vent ce matin, il glisse sur les herbes dans un frôlement de robe longue, les branches soupirent, les hêtres s’effleurent en murmures pailletés. A travers les éclaboussures de lumière, un petit bout de ciel parfois. Tu es assis, tes pensées vont et viennent, légères, dans la brise. Tu as le temps. Tu regardes le soleil se poser sur chaque feuille, délicatement, puis la quitter dans un souffle de papillon. Oui, chaque feuille, et tu voudrais garder chacune, celle-ci toute ronde et douce, celle-là cousue de trous en fragile dentelle. Et la fougère docilement courbée. Tu voudrais les garder toutes, comme si c’était la dernière fois. Le dernier matin… Et c’est bon de te dire cela, que rien ne sera toujours là, que demain peut-être va savoir… comme ce moustique que tu envoies valser si facilement d’un revers de ta main.

Alors tu ne perds rien de cette minute, son parfum de feuilles sèches, l’étrange velouté de son silence soudain, et jusqu’à sa douleur dans ton dos à force de rester ainsi plié sous le toit murmurant de la forêt. Tu prends tout, joyeusement.

Puis il y a ce léger tremblement du sol, étrange impression de le sentir dans ta colonne, tandis que tes muscles se raidissent et que tu te coules un peu plus le long du frêne, aux aguets. Tu n’es plus qu’attente, et tu ne sais plus si ce bruit sourd qui cogne, c’est un pas de bête ou le tambour de ton coeur… Voici deux cerfs qui avancent, tranquilles dans le soleil. Ils sont si près que tu peux entendre les nuées de mouches noires qui les suivent, et les crissements de l’herbe lavée de rosée, qu’ils arrachent et mâchent en remuant leurs oreilles. Ton corps se relâche, tu les regardes passer entre les troncs. Une seconde de plus et ils ont disparu.

Tu prends cela encore, tu cueilles le vide étrange qu’ils ont laissé après eux. Et cela aussi c’est bon. Tout aimer et ne rien retenir… Le matin finit d’éclore. Il ne reste plus que le vent du sud, tiède et doux, couché sur la clairière.