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Quatre saisons en Vercors

 

Qu’il fait bon vivre ici, sur cette île de calcaire, parmi les mers de brume… Par-delà les blessures du monde et la folie des humains, la nature reste un baume de guérison.

Voici notre dernière sélection d’images sur le Vercors, cette terre qui nous abrite depuis plus de 14 ans maintenant! Nous vous offrons ce voyage merveilleux et enivrant aux quatre saisons des Hauts-Plateaux. Des hivers austères et silencieux, aux étés radieux et exubérants, des printemps bénis par l’ail des ours et les cris des pics noirs, aux automnes d’or fiévreux et de brames mouillés. D’averses rageuses, en pleines lunes douces, de nuits bénies d’étoiles, en fééries de champignons, que l’on regarde vers le ciel ou vers la terre, que l’on se tourne vers le Nord ou le Sud, l’Ouest ou l’Est… chaque pas posé sur ces plateaux est une bénédiction. 

Nous dédions ces images à la terre ancienne et sacrée du Vercors, aux montagnes farouches et aux forêts qui gardent les mémoires du monde, aux animaux sauvages dont nous croisons le chemin avec émerveillement et humilité,  aux humains qui oeuvrent pour la protection de cette nature et parlent pour elle.

 

la naissance des faons

Le mois de juin arrive, il est temps pour nous de quitter le monde des hommes pour retrouver la forêt enchantée où les faons viennent tout juste de naître. Voici le récit d’un des précieux instants trouvés au fond des bois….

La bonne fée

Dans la forêt enchantée, aux premiers jours de juin, les faons naissent entre les cuisses veloutées des biches. Ils glissent doucement dans l’herbe grasse des clairières, mouillés et surpris. La Terre est leur berceau, la grive musicienne chante au-dessus. Et les mouches déjà ronronnent.

J’attends leur venue, roulée dans l’aube frileuse, ou blottie au tronc d’un vieux hêtre. Immobile, silencieuse. Et patiente. La vie prend son temps pour grandir ici, et la hâte n’a pas sa place. Les heures fondent aux branches dansantes des arbres, la lumière du matin arrive comme un miracle. Dans l’immense forêt sauvage, je sais que quelque part un faon est en train de naître. Léché tendrement par sa mère. Je sais, et cela me suffit. Je le verrai peut-être passer un peu plus tard, rêveur et maladroit, aux flancs de la biche aux aguets. Ou peut-être pas. Qu’importe. Nous partageons pour quelques jours le parfum âpre de la forêt, les ronds blonds que le soleil jette à travers les feuilles et qui tremblent sur la mousse. Nous partageons le vent et la caresse argentée des averses. La douceur blanche des aspérules et le cri du pic noir quand il fait glisser sur les arbres son voile de mélancolie. Nous partageons ce petit morceau de vie fragile et lumineuse.

Tapie dans l’ombre, je pose lentement une main sur la Terre et je murmure tout bas une bénédiction. Que la vie, petit être, te soit douce et facile. Que la forêt te garde en sécurité. Que ton herbe soit verte et nourrissante et que les fusils se détournent de toi et des tiens. Je viens pour cela et pour rien d’autre, ces quelques mots confiés au vent tiède du mois de juin. Ma prière de bienvenue. Et quand une biche passe avec son faon éclaboussé de rosée, je me penche à peine, derrière le frou-frou vert des feuilles, et je souris sans qu’ils me voient. Comme la bonne fée sur le berceau d’une princesse.

Retour vers les Highlands d’Ecosse, été 2019

Il y a des lieux vers lesquels on revient toujours, et l’Ecosse est pour nous de ces lieux là… Inlassablement, nos pas sont guidés vers ces Highlands et ces îles sauvages, écartées du monde, mystérieuses et pourtant familières. Voici en images ( galerie en fin de page 😉 )et en mots, un aperçu de notre été là-haut, dans les landes humides où le coeur de la terre bat plus fort, et au bord de ces plages infiniment lumineuses qui nous font voir la vie plus simple, plus claire et plus belle. Nos filles sont venues avec nous cet été, et chacune a apporté avec elle une manière de vivre l’Ecosse. Peu de photos, juste la vie au grand air.  Nous marchons beaucoup, sur les sommets aux belles courbes qui appellent le randonneur, sur les baies blanches et solitaires, dans les tourbières balayées de vent. Et nous restons assis…  à écouter le temps qui passe, délicieusement lentement. Sandrine, souvent, sort son carnet et écrit la lumière d’ici, le parfum d’ici, et l’ancienne sagesse couchée dans les montagnes. On se baigne dans des lochs oubliés, on s’endort dans le creux d’un rocher. Un cerf curieux vient nous réveiller… Les jours passent comme un rêve. Et, quand il est l’heure de partir, on se retourne pour regarder les petits bouts de notre coeur, éparpillés sur les Hautes Terres d’Ecosse, comme des miettes de Petit Poucet… 

Je voudrais rester là, longtemps

Et regarder le monde à travers le machair.

Autour de moi grandissent, souples et légères, et tendrement abreuvées de soleil, les plantes d’ici. Je vais pieds nus au milieu d’elles, je connais le nom de chacune, trèfle rose, plantain, campanule, la pâle reine des prés, la carotte sauvage,dansée suavement dans la brise, et celle-ci qu’ils appellent silver weed, l’herbe d’argent aux douces dents de velours gris. La camomille aussi parfois, et des chardons roses bouches d’enfants arrondies, chantent parmi les autres belles. Leurs noms, je les lance au vent comme des incantations. Elles sont toutes mêlées les unes aux autres, sans faire de manière, il y a si peu de place pour vivre, si peu de temps pour les festivités. Leur luxuriance joyeuse dessine un fin ruban de verdure entre la lande austère et l’aridité blanche des dunes. Et la mer au-delà.

Comme c’est bon

De regarder la mer à travers le machair

Bleue, tranquille et pâle, un peu surprise

De tant de douceur et peut-être

Que c’est pour cela qu’elle se laisse rêver

Qu’elle s’offre des turquoises de Caraïbes

Des transparences échouées

Des îles comme des caresses à l’horizon.

C’est un petit miracle le machair, une chevelure tressée de terres fertiles, sous les seins gonflés des montagnes. Les hommes d’ici le disent fragile, ils ont planté des panneaux comme des gardiens. Sans ces quelques mètres de vie serrée face au désert, ils n’ont plus rien. La rage du vent et le ventre qui crie. Alors ils en prennent soin, depuis toujours, et le nourrissent d’algues généreuses. Ils y déposent aussi leurs morts, dans de lumineux cimetières, comme des offrandes sous le ciel gris. Les fleurs sauvages poussent autour. C’est beau, je voudrais rester là

Longtemps

Et regarder les hommes à travers le machair

Des hommes debout et sages

Qui vont lentement sur la terre

Et prêtent attention à chaque pas qu’ils font. La pluie vient,

Car toujours ici vient la pluie.

Elle coule comme une berceuse de mère. Le machair tête doucement, en penchant ses fleurs mouillées. J’y plonge mon nez, je voudrais garder ce parfum, ces couleurs, cette force sereine sous mes pieds, cette confiance et la lumière

Ruisselée au bleu de la mer

Je voudrais rester là longtemps

Regarder arriver l’automne flamboyant,

Ses bracelets d’arc-en-ciels

Jetés sur l’océan et le vent

Emportera le sucre des plantes fanées

Et ce sera beau encore, même quand

L’hiver déposera ses longues nuits comme des voiles

Sur le vert éteint des prairies

Qui viendront renaître aux aurores boréales.

Oui je voudrais tellement rester là

Pour regarder, entre deux tempêtes, la danse du machair d’hiver

Aux cieux brodés d’étoiles, et les nuages gris glissés

Mystérieusement

Comme de nouvelles herbes d’argent.

 

Retrouvez toutes nos photos d’Ecosse dans notre galerie Ecosse:

 

Histoire de loup

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Dans l’aube brune de ce matin d’hiver, vous vous êtes croisés. Lui venait de laisser ses rêves de la nuit, il avait les yeux encore gonflés de sommeil. Et toi… Tu étais penché sur la neige. Tu as levé la tête et l’as regardé longuement. L’or de ton regard dans le matin hésitant. Le frisson sur sa nuque. C’est bien toi. Tu restes là, à côté de la proie qui gît à tes côtés. Vas-tu prendre la fuite ? Non. Tu recules un peu puis te roules dans la neige comme un chien fou, poudre blanche mêlée d’éclairs fauves, il te regarde, incrédule. Dans le silence, son coeur qui cogne fait un bruit de tonnerre.
Dans l’aube brune de ce matin d’hiver, il a croisé un loup.

Deux heures plus tard, je suis sur le lieu qu’il m’a indiqué par SMS. Je n’ai aucun mal à trouver l’animal que tu as tué, les corbeaux sont déjà sur place. Leurs cris déchirent le vallon gris. J’avance lentement, attentive à chaque pas, cherchant tes traces, prête à recueillir l’histoire que la neige va raconter. Ce n’est pas un conte de fées peuplé de monstres sanguinaires, mais la simple et brute histoire de la vie. Je croise ta piste, très vite. Elle sort de buissons où la neige, toute tassée, est couverte de poils. Est-ce toi qui est resté tapi ici, à guetter dans l’ombre le pas léger du chevreuil ?

Je suis le chemin de ta chasse, ta foulée qui s’allonge, puis ces trois bonds dans la neige. Immenses. Ton ombre fend la nuit, il n’a même pas le temps de t’entendre arriver, tu es sur lui. Eclaboussures de poils et de neige. Seule sur la grande plaine, je me sens toute petite. Vous vous débattez, votre course de quelques mètres saute par-dessus le ruisseau. C’est là qu’il abandonne. Tu cherches sa gorge, tout est très rapide. Deux taches rouges sur le blanc immaculé. Son coeur s’est arrêté, le mien se serre.

Tu l’as traîné ensuite sur une dizaine de mètres, tu cherchais sûrement un coin plus abrité. Tes empreintes se mêlent à un étrange enchevêtrement de poils et de sang. Nous y voici. C’est une chevrette. Le cou rejeté en arrière, toute délicate. Ses pattes fines et longues sont raides, ce sont elles qui la piègent dans l’hiver enneigé. Ses intestins sont répandus tout autour. Elle n’a plus d’oeil, les corbeaux sont déjà venus. La mort n’est jamais belle. Mais elle peut avoir du sens. Ce matin, elle écrit dans la neige le caractère sacré de la vie.
Il n’y a personne pour m’observer, et même toi tu es parti depuis longtemps. Alors je plante mon regard dans son oeil vide, je laisse mes larmes monter, et je lui souhaite un bon voyage, paisible et tranquille. Si voyage il y a… Sa vie coule maintenant dans tes veines. C’est l’histoire que raconte la neige.

J’essaie de laisser de côté mes émotions et examine la carcasse. A part la tête, les pattes et les viscères, tout a été consommé. Depuis combien de jours n’avais-tu rien mangé ? Combien de kilomètres avais-tu parcourus, le ventre vide, affaibli par la faim et le froid ? Cette chevrette, c’était une mort pour une vie… Je comprends mieux tes roulades joyeuses dans la neige. A quelques mètres du cadavre, tu as déposé la panse, intacte. Je reconnais cette façon de faire, ta signature, et je frémis à l’idée que d’autres personnes la découvrent. Tu seras alors traqué sans répit par les chasseurs du coin, accusé de barbarie par les journaux, dressé en symbole du mal par une filière ovine gangrenée de mondialisation et qui cherche ailleurs la cause de ses blessures. Ennemi public numéro un, bouc émissaire de notre société qui ne sait plus reconnaître le sauvage et qui s’est perdue en chemin…

Je décide de quitter la place pour laisser les corbeaux impatients nettoyer la scène et effacer tes traces. Puis je marche dans ta piste de retour. Ta foulée est plus courte, rien ne presse maintenant, tu es repu et tu t’enfonces dans la neige fraîche. Tu vas droit à travers la plaine, jusqu’aux bosquets que tu longes. Ton chemin monte vers les sommets, loin du monde des hommes. Pas une seule fois tu ne t’arrêtes, sauf pour déposer dans la poudreuse une crotte où je reconnais des petits poils blancs. Tu avances sans te retourner, tranquille et sûr. Dans le silence de ton passage, la colline frémit doucement. Je n’entends rien d’autre que le crissement de mes bottes, et mon souffle, de plus en plus court. Te suivre encore un peu, sans attente, sans question. Te suivre malgré la pente raide, pas après pas. Me laisser guider au fil sacré de tes empreintes.

Dans l’aube brune de ce matin d’hiver, elles ont écrit une histoire. Une histoire toute simple, qui ne fait pas peur aux enfants, et que les hommes ont depuis longtemps oubliée. Une histoire qu’il me fallait raconter à mon tour. Pour que d’autres aurores te regardent passer…

 

Image prise un autre jour, dans un autre lieu, pour éviter toute reconnaissance possible 😉

 

Un automne en Ecosse

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Voici, après plusieurs mois d’attente, une sélection de nos images prises en Ecosse à l’automne dernier, lors d’un séjour fait dans les Highlands, puis pour le voyage photo sur l’île de Skye que nous avons mis en place cette année. Une fois de plus, nous avons trouvé là-haut des émotions puissantes et un lien fort à la terre qui nous bouleverse chaque fois que nous y posons les pieds. Une fois de plus, les lumières furent miraculeuses, changeantes et pures, parfois douces et parfois intenses. Et une fois de plus, nous avons senti le parfum de la pluie, une amie chère qu’on a toujours plaisir à retrouver…

Volontairement, et pour préserver l’intimité des personnes qui nous ont accompagnés lors du séjour photo, nous n’avons mis que des images de paysages et faune, ou des photos de nous. Une galerie privée suivra comportant les images de personnes.

 

Libre…

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Assis dans la nuit, sous le souffle des étoiles,
guetter
les premiers battements du nouveau jour
qui écarte lentement les nuages.
Respirer l’heure bleue,
l’heure froide et silencieuse, sa caresse sur
les visages froissés d’insomnie.
Ne plus s’arracher
à la noirceur du monde -toujours elle nous rattrape-
mais simplement
se rappeler la lumière.
Attendre le matin…
Sur la terre gelée
la course légère des chevreuils palpite.
Voici la première lueur.
Marcher dans leur pas.
Libre.

Une image, un poème…

Lors de notre exposition « à fleur de brume »  fin novembre à Montier-en-Der, vous êtes nombreux à avoir été touchés par les textes présentés avec les images. Nous vous remercions une nouvelle fois d’avoir partagé avec nous vos émotions, de nous avoir parlé sur le stand, d’être venus vous livrer un peu…

Certains des poèmes présentés étaient inédits, et n’avaient jamais été publiés. Pour vous remercier de vos touchants retours, nous en partageons un avec vous sur ce blog… en attendant la publication de notre livre…

a_fleur_de_brume (8 sur 24)

 

 

Hier, dans le silence de la brume
je suis passée t’en souviens-tu?
Nous avons partagé un infime instant de vie
et quelques atomes d’air.
Nous goûtions l’un et l’autre le parfum de la forêt,
au creux de moi, lentement,
mon petit grandissait, et toi
tu m’as regardée sans bouger, puis tu m’as laissée
m’enfoncer doucement dans le brouillard d’automne.

Ce matin
Couchée sur le flanc, j’attends
la dernière balle.
La forêt hurle sous tes chiens, les feuilles affolées
s’envolent en gerbes rouges et crissantes.
Tu dis que c’est ainsi depuis la nuit des temps,
sans cesse vous nous rappelez
que la vie ne tient qu’à un fil
d’araignée
pour mieux vous-mêmes l’oublier.
Mais dans la nuit des temps
vous étiez bien moins forts, et la mort
n’était pas un loisir encore.

Mon petit ne verra pas
la lumière du mois de juin
le vert de l’herbe si vif qu’il brûle presque les yeux,
les diamants de soleil versés sur l’eau des mares.
Et toi, seras-tu encore là?
Sous les cognements de mon coeur
j’entends maintenant
le bruit de tes pas.

La forêt enchantée

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Je l’ai connue à l’automne, dorée et vibrante des cris du cerf. Je l’ai connue dans le silence de l’hiver, figée sous la glace comme par un sortilège. Je l’ai connue brumeuse en avril, quand le printemps n’est encore qu’un fragile espoir et que les premières feuilles frémissent sous le vent froid. Je la retrouve radieuse sous le soleil de juin. Je suis revenue dans la forêt enchantée. Je suis revenue…

Pour quelques jours j’ai replié la liste longue, la liste lourde des choses à faire, abandonnée près de l’ordinateur éteint, oublié mon téléphone, aucune onde ne parvient de toute manière à percer l’épaisse muraille de la forêt, j’ai laissé toutes les urgences en attente, pour marcher ici, légère et calme. Marcher sous les hêtres immenses, m’arrêter au bord des clairières écrasées de soleil, me coucher dans l’odeur des fougères et regarder passer les nuages dans le ciel. Comme c’est bon de juste regarder les nuages passer derrière le tremblement des feuilles!

Je suis revenue. Cueillir l’ail des ours et l’épinard sauvage que je cuisinerai ce soir. Boire à l’eau de la source, m’y laver dans la fraîcheur du matin, la sentir couler sur mes épaules, y plonger mon visage engourdi par la nuit, la laisser emporter la fatigue et les soucis.

Je suis revenue. Religieusement regarder les soleils couchants des Hauts-Plateaux, m’arrêter devant la pleine lune qui monte derrière les arbres, et être là pour le premier cri de la chouette.

Respirer le parfum d’ici, cette odeur puissante de terre, de mousse et de bête, que je n’ai pas goûtée ailleurs et que je reconnaîtrais entre mille. Je la trouve à nouveau aux pieds des arbres centenaires, enfouie sous les feuilles, intacte, précieuse et familière. Le parfum de la forêt enchantée. Elle me ramène, mieux que toutes les paroles de sagesse, à l’évidente joie d’être en vie, à la miraculeuse beauté du monde. Pas seulement ce monde-ci, exalté dans ce début d’été, mais aussi celui que j’ai laissé loin derrière le peuple bienveillant des hêtres, ce monde enchevêtré de petits bonheurs fugaces et de douleurs lancinantes, d’espoirs et de frustrations, de violence et de douceur. Mon monde. Que j’observe étonnée à travers le frémissement argenté de la forêt et que je reconnais comme le mien. Et que j’aime, tout entier, avec ses étranges contradictions….

Je suis revenue. Et c’est bon…