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Samhain

Samhain: le portail de l’ombre 

La fin de l’automne est une porte d’entrée dans l’hiver, les anciens celtes l’appelaient Samhain: c’était une grande fête sacrée, qui avait lieu autour du 31 octobre: les hommes se préparaient, comme le fait depuis toujours la nature, à la grande traversée obscure et au temps du repos. Cette sagesse des cycles, nous nous en sommes bien souvent éloignés, et pourtant elle est riche d’enseignements, d’équilibre, d’harmonie et de guérison. Les arbres laissent mourir leurs feuilles à l’automne, les tempêtes arrachent les vieilles branches, la terre s’endort et ralentit, et nous sommes invités à entrer dans cette danse de l’ombre, à ralentir nous aussi, à revenir à l’intérieur, au silence. Et à laisser mourir ce qui nous pèse, ce qui ne nous est plus utile. Faire le vide, pour plus tard laisser de la place au nouveau: c’est ainsi que fonctionne la vie: la mort fait partie de son cycle éternel, elle est honorée et célébrée car elle est toujours suivie d’une renaissance. Cette période est le moment de réfléchir à ce qui dans nos vies doit mourir: parfois c’est un emploi qui ne nous convient plus, une relation qui nous fait souffrir, une douleur trop longtemps portée. Parfois c’est aussi le moment de faire le deuil de ce que nous avons perdu pour avancer de nouveau. Ou d’une période de notre vie qui s’achève. 

En Ecosse, il y a des tas d’histoires sur une très vieille déesse, qui est la gardienne de Samhain et de cette période hivernale. On l’appelle la Cailleach. Nous lui avons consacré une grande et belle exposition en 2019, qui recommencera à tourner en France dès que cela sera à nouveau possible.

Qui est-elle exactement, cette Cailleach au nom barbare, venue du fond des âges, et qui se tient à la porte de Samhain?

Elle est la voilée, la sombre, la mystérieuse. Elle est vieille, aussi vieille que la terre. Elle en est la gardienne farouche et solitaire. On la dit très laide et effrayante: Sa peau bleue nuit est sillonnée de rides, son oeil unique perce tous les secrets, ses dents gâtées sont tachées de lignes rouges, ses cheveux blancs s’enroulent autour des branches et les couvrent de glace. Chaque année elle renaît au moment où le monde se prépare à mourir, car elle préside au royaume de l’ombre. Elle inquiète et fascine les hommes. Mais ceux qui savent, ceux qui voient par-delà les rideaux de pluie, connaissent la promesse de sa lumière. La Cailleach réveille notre sagesse et notre courage,  celui qui accepte de la regarder en face, il pourra découvrir la vérité sous les voiles. Elle est la Cailleach Bheur, l’une des plus anciennes déesses celtes, elle est déesse mère, celle qui a créé les innombrables montagnes d’Ecosse, et que le rêveur peut encore apercevoir, les soirs d’automne, bondir de sommet en sommet. C’est elle encore qui souffle les tempêtes, protège les animaux sauvages dans les forêts, étale ses voiles blancs sur les pics des montagnes, et fait fleurir le givre sur les herbes fanées. 

 Quand nous marchons à la saison dorée sur les landes écossaises, au moment de la fête de Samhain, toujours elle nous accompagne : elle hurle sa renaissance avec le vent, danse dans les pluies de lumière, et chaque loch, quand il reflète le ciel tourmenté, se souvient de son oeil unique. Lorsque le cerf brame son cri rauque, c’est elle qui rit son long rire de nuit. 

Ceux qui sont déjà venus en Ecosse avec nous connaissent la Cailleach, Sandrine ne manque jamais d’en parler, de raconter une des innombrables légendes qui l’évoquent, ou de lire un poème qu’elle a écrit sur la vieille, très vieille déesse, qui tient la main de ceux qui traversent l’ombre. Vous pourrez retrouver ci-dessous l’un de ces textes écrits en Ecosse et inspiré par l’esprit de Samhain.

SAMHAIN

Samhain, Oh ma saison de nuit, de mystère, de sauvages silences… 

Octobre s’évanouit dans un râle, et je retrouve la lande âpre et les sentiers boueux. 

J’ai laissé mes fardeaux derrière moi et je marche d’un pas heureux sous le ciel gris, les paysages glissent, les falaises surgissent et disparaissent. Le monde passe. La chanson des cascades. Le frisson sur la peau mouillée. Les rideaux de pluie lentement descendus sur les tourbières. La pluie ici n’est jamais triste et morne. Toujours elle est soufflée d’espérance, ourlée de lumière. Comme la Cailleach qui rit à l’ombre de ses voiles. Elle court et déjà s’évanouit, dans un murmure de robe de soie. 

 

Samhain, Oh ma saison vulnérable et puissante, tes larmes lavent les âmes trébuchées. Les rayons du soleil s’abattent sur les reliefs comme des flèches, découpant les lignes acérées, ouvrant des blessures sombres dans les plis des roches de basalte. Des trouées où l’on a envie de poser doucement la main, comme sur le flanc d’un animal frémissant. Elles sont bonnes mes mains quand elles se posent ainsi, pâles sur la pierre noire, et que déjà elles racontent la guérison. La confiance par-delà les yeux brouillés.

 

Samhain, Oh mon tendre crépuscule, aux mondes fondus nos différences évanouies. Je regarde venir le repos de la Terre, elle palpite sous la lumière, géant couché mais vibrant encore, les yeux limpides de ses lochs ouverts sur les ciels d’argent. Je m’ assois et me laisse endormir avec elle, tranquille sur la lande ruisselante, mon souffle noyé aux vents de pourpre et d’or. Prête pour la longue nuit d’hiver. La traversée obscure qui ne se refuse pas. J’ai un peu peur derrière mon courage… Mais tu vois, Samhain, je suis là.