Marcher sur le ciel, au milieu des étoiles. Connaître le velours grave de leur chant d’hiver. Il fait beau, le soleil étale voluptueusement ses fourrures d’ambre sur le monde. Marcher, les yeux éblouis de froid, l’esprit lentement lavé à chaque pas. Je ne sens plus le bout de mon nez, je ne sens plus l’étoffe lourde des inquiétudes. Ni la morsure aveugle des hommes. Juste la terre blanche qui clignote en glissant sous les skis, comme un poisson malicieux dans la paume de main, une écume dérobée. Marcher sur la mer, un peu…
Il a neigé, et neigé encore. Sur le ventre rond du Plateau, le ciel a fini par se coucher, blême et fatigué. Je l’ai regardé s’endormir. Les hommes sont rentrés chez eux. Et ce matin, avec leurs pelles et leurs tracteurs, ils ôtent la neige, pressés de retrouver leurs tristes repères, leurs routes droites, leurs trottoirs lisses, leurs boulots monotones. Ils n’ont jamais le temps. Ils n’entendent plus la chanson de la neige. Je suis partie à pieds de la maison, j’aime ça, ne plus reconnaître les chemins, j’aime quand tout est délicieusement enseveli. Je suis seule avec le soleil revenu et je marche au milieu des étoiles. Qu’y a-t-il de plus important ?
Maintenant je ferme à demi les yeux pour mieux voir, à travers la frange fraîche des cils d’enfance, le nouveau jour qui m’est donné. Comme quand on était gamins, tu te souviens ? Et l’univers était un vieux mage au rire croustillant, il versait sur nous ses trésors, ses paillettes, ses promesses scintillantes. Plisse les yeux toi aussi veux-tu, juste un peu, juste un moment, cesse d’être si sérieux… Viens cueillir avec moi les diamants qui crépitent aux frissons des clairières ! Allons faire quelques glissades sur la poudreuse et le silence, des boules de neige lancées sous les vieux hêtres qui ruissellent, nos bouches grandes ouvertes et nos cheveux ébouriffés dans l’air limpide et miroitant. Puis courrons dans la neige, nos empreintes mêlées joyeusement. Allez, viens, juste un peu… La vie est vite passée, et la poudreuse est si légère. Marchons, dansons, skions, en traçant des sillons d’argent. Regardons naître sous nos pieds le long trait d’amour qui fait rire les étoiles.