Assis dans la nuit, sous le souffle des étoiles,
guetter
les premiers battements du nouveau jour
qui écarte lentement les nuages.
Respirer l’heure bleue,
l’heure froide et silencieuse, sa caresse sur
les visages froissés d’insomnie.
Ne plus s’arracher
à la noirceur du monde -toujours elle nous rattrape-
mais simplement
se rappeler la lumière.
Attendre le matin…
Sur la terre gelée
la course légère des chevreuils palpite.
Voici la première lueur.
Marcher dans leur pas.
Libre.
Archives de catégorie : Emotions
Une image, un poème…
Lors de notre exposition « à fleur de brume » fin novembre à Montier-en-Der, vous êtes nombreux à avoir été touchés par les textes présentés avec les images. Nous vous remercions une nouvelle fois d’avoir partagé avec nous vos émotions, de nous avoir parlé sur le stand, d’être venus vous livrer un peu…
Certains des poèmes présentés étaient inédits, et n’avaient jamais été publiés. Pour vous remercier de vos touchants retours, nous en partageons un avec vous sur ce blog… en attendant la publication de notre livre…
Hier, dans le silence de la brume
je suis passée t’en souviens-tu?
Nous avons partagé un infime instant de vie
et quelques atomes d’air.
Nous goûtions l’un et l’autre le parfum de la forêt,
au creux de moi, lentement,
mon petit grandissait, et toi
tu m’as regardée sans bouger, puis tu m’as laissée
m’enfoncer doucement dans le brouillard d’automne.
Ce matin
Couchée sur le flanc, j’attends
la dernière balle.
La forêt hurle sous tes chiens, les feuilles affolées
s’envolent en gerbes rouges et crissantes.
Tu dis que c’est ainsi depuis la nuit des temps,
sans cesse vous nous rappelez
que la vie ne tient qu’à un fil
d’araignée
pour mieux vous-mêmes l’oublier.
Mais dans la nuit des temps
vous étiez bien moins forts, et la mort
n’était pas un loisir encore.
Mon petit ne verra pas
la lumière du mois de juin
le vert de l’herbe si vif qu’il brûle presque les yeux,
les diamants de soleil versés sur l’eau des mares.
Et toi, seras-tu encore là?
Sous les cognements de mon coeur
j’entends maintenant
le bruit de tes pas.
En Ecosse…
En équilibre
là où tout commence.
Là,
il y a la force des montagnes immobiles,
le poids infini de la terre
et le rêve de t’y planter,
de t’y enfoncer, dure et noire,
jusqu’à ce que plus rien n’arrive.
Là, il y a
l’eau limpide et insouciante,
sa chanson légère qui emporte tout
en glissant sur la lande.
Sa fuite imprévisible, souviens-toi,
ce matin au bord du torrent,
une petite fille agenouillée
a posé gravement
sa fragile embarcation,
juste une feuille et quelques brindilles
de bruyère en fleur…
Souviens-toi
comme l’eau a happé
avide, le minuscule bateau
et l’a entraîné dans ses tourbillons,
ses rapides, ses cascades et
comme ton coeur s’est serré quand
tu l’as vu disparaître.
Car ainsi glisse ta vie n’est-ce pas?
La musique de l’eau n’en est pas moins pure et tu laisses,
Songeuse,
ta main caresser l’onde fraîche du torrent.
C’est là que l’idée t’est venue, te voici
Là,
en équilibre
entre le roc tranquille et l’eau qui file,
suspendue au souffle des nuages,
fragile et ferme et souriante.
La terre te soutient et tu laisses
Chaque seconde emporter des lambeaux de ta vie.
C’est bien ainsi,
chaque seconde le monde est à refaire.
Et tout commence.
stage photo rêves nomades, récit d’un retour aux sources
La longue caravane s’étire sur le plateau désert. Nous marchons dans la chaleur implacable de juillet, quinze hommes et femmes, et au milieu de nous les ânes, et le rythme berçant de leur pas sur la terre.
Nous marchons, les heures glissent sur nous, les paysages défilent. Ils nous éloignent, pas après pas, de la turbulente civilisation. Nous éloignent des brumes quotidiennes. Nous éloignent des urgences jamais assouvies. Ici, tout en haut, nous sommes plus près du soleil, et même la nuit est lumineuse. Nous marchons dans cette clarté joyeuse, tout est simple maintenant, chaque instant vibre d’une force éclatante.
Ensemble, nous réapprenons les gestes ancestraux, aller chercher l’eau à la source, préparer le repas, monter le camp pour le soir, bâter et débâter les ânes. Ici, sous l’éternité des montagnes, chacun trouve doucement sa place, et faire la vaisselle est une leçon de sagesse et d’amour. Il suffit d’être là, ensemble, quinze hommes et femmes, sur le plateau immense et sauvage.
Le soleil descend lentement, les tentes sont montées pour la nuit, nous partageons le repas du soir, assis en rond dans le parfum de l’herbe qui se mêle à celui des épices. Après le silence recueilli des premières bouchées, viennent les paroles joyeuses et les sourires complices, les bribes de vie qui se dévoilent, pudiques, au détour d’une question, les mots que Vincent nous fait piocher et qui parlent étrangement à chacun: naissance, simplicité, sincérité, fraternité… Tous les âges sont là autour du festin nomade, et les garçons de 17 ans font ruisseler leurs rires sur les blagues de l’homme aux 67 printemps.
Puis, quand les graminées s’embrasent dans les derniers rayons, quand nos chevelures et nos yeux frémissent d’éclats dorés, on se lève pour le soleil couchant, l’aube sacrée. Nos vies suspendues à ce morceau d’éternité, nous photographions religieusement jusqu’à ce que le dernier tremblement de lumière disparaisse sous l’horizon. Après, couchés sous les étoiles, nous apprivoisons la nuit… Comme elle est belle, la nuit silencieuse de la Réserve des Hauts-Plateaux! Comme il est doux le manteau blanc de la voie lactée au-dessus de nos têtes!
Nous dormons peu, qu’importe.
Car il y a les matins, les pieds nus dans la rosée, devant le pâle mauve du ciel, il y a le café pris devant le tipi, la suave amertume du café quand la première lumière vient caresser les yeux engourdis. Il y a les fleurs parées de gouttes d’eau, le monde féerique et scintillant des fleurs. Il y a la naissance miraculeuse d’un nouveau jour derrière les montagnes. Le vent dans les herbes et les ombres des nuages qui glissent sur la plaine de la Queyrie.
Le soleil monte et nous accomplissons les mêmes gestes, précis et lumineux, les gestes qui font vivre. Et la marche toujours, le rythme régulier de la marche, les muscles des jambes qui s’éveillent dans la poussière du chemin. Les mouches tournent autour des ânes et, derrière le sombre bourdonnement, le murmure de nos vies se raconte. Quelques bribes de nos histoires, nos rêves et nos tragédies, nos petits bonheurs et nos grands projets. Fugaces éclats de lumière sous la chaleur torride. Quinze hommes et femmes, quinze histoires qui se déroulent sur l’herbe sèche des Hauts-Plateaux. Se déroulent lentement au rythme des ânes.
Les aubes se suivent, chacune est un miracle. Miracle aussi le vol majestueux des vautours qui descendent vers nous, le galop farouche du jeune cerf qui traverse l’alpage, les silhouettes des bouquetins sur la crête, ombres glissantes du dernier soir. Miracle les tapis de fleurs sous nos pas, les edelweiss au milieu desquels nous plantons les tentes, le parfum pétillant du fenouil sauvage qui monte de la terre. Miracle la source, l’eau lente de la source qui apprend la patience et rapproche les hommes, qui laisse glisser les heures, fraîches et limpides. Quinze hommes et femmes puisant l’eau de la source…
Nous avons bu chacun de ces instants de vie, surpris de cette joie simple et évidente. Combien d’entre nous croyaient l’avoir perdue? Et la voici maintenant, précieuse, mystérieuse. La voici bouleversante. Rayonnante sous le soleil d’été. Même quand il te faut revenir vers le monde agité. Même devant les laides constructions, le parking irréel et tremblant de chaleur, l’odeur du goudron. Même dans la voiture qui t’emporte loin d’ici, les mains sur le volant et cette étrange détresse dans la gorge.
La voici avec toi. Au creux de toi encore, espace immense de liberté et de douceur. Au fond de toi, silence lumineux et serein balayé par le vent sec et parfumé des Hauts-Plateaux. Dans chacune de tes cellules, dans la lumière sauvage de tes yeux. Un battement lent, régulier et joyeux. Le pas des ânes. Avec toi. Toujours.
Solstice d’été
C’est le solstice d’été.
Dans les herbes le soleil,
nonchalant,
traîne
comme un pianiste égaré.
On a planté la tente
sous la longue et lourde branche
d’un vieux hêtre tortueux.
Elle tremble sous le vent,
vénérable vulnérable,
mais résiste quand
ma fille aux cheveux emmêlés grimpe sur elle,
s’entortille et l’enlace et se couche sur elle
en l’appelant grand-mère.
On les laisse,
l’enfant sauvage et l’arbre sage,
pour traverser la clairière
et s’allonger dans le parfum doré
des graminées.
Le vent souffle sur elles
sa chanson endiablée
et le reste
enfin
se tait.
Dans la forêt les dernières perles de lumière
ruissellent
sur les feuilles tremblotantes des hêtres
la mousse des troncs les cheveux blonds
de notre enfant,
ruissellent et s’évanouissent
comme un enchantement.
Puis près de la tente,
sous la vieille branche noueuse,
les gestes simples et familiers,
les gestes lents et sages du repas qu’on prépare,
tandis que le réchaud siffle et chasse
le froid des premières ombres,
tandis que,
dans la clarté irréelle de la clairière abandonnée,
les biches une à une avancent
inquiètes et farouches,
sauvagement belles.
Elles partagent avec nous le vent,
le sucre crissant de l’herbe d’été,
partagent avec nous la terre,
la tiédeur douce et mouillée de la terre,
où les racines du vieux hêtre creusent
et s’enfoncent et se ramifient
avec une lenteur infinie,
juste là sous la tente
où notre fille, dans nos bras, s’est endormie.
La forêt enchantée
Je l’ai connue à l’automne, dorée et vibrante des cris du cerf. Je l’ai connue dans le silence de l’hiver, figée sous la glace comme par un sortilège. Je l’ai connue brumeuse en avril, quand le printemps n’est encore qu’un fragile espoir et que les premières feuilles frémissent sous le vent froid. Je la retrouve radieuse sous le soleil de juin. Je suis revenue dans la forêt enchantée. Je suis revenue…
Pour quelques jours j’ai replié la liste longue, la liste lourde des choses à faire, abandonnée près de l’ordinateur éteint, oublié mon téléphone, aucune onde ne parvient de toute manière à percer l’épaisse muraille de la forêt, j’ai laissé toutes les urgences en attente, pour marcher ici, légère et calme. Marcher sous les hêtres immenses, m’arrêter au bord des clairières écrasées de soleil, me coucher dans l’odeur des fougères et regarder passer les nuages dans le ciel. Comme c’est bon de juste regarder les nuages passer derrière le tremblement des feuilles!
Je suis revenue. Cueillir l’ail des ours et l’épinard sauvage que je cuisinerai ce soir. Boire à l’eau de la source, m’y laver dans la fraîcheur du matin, la sentir couler sur mes épaules, y plonger mon visage engourdi par la nuit, la laisser emporter la fatigue et les soucis.
Je suis revenue. Religieusement regarder les soleils couchants des Hauts-Plateaux, m’arrêter devant la pleine lune qui monte derrière les arbres, et être là pour le premier cri de la chouette.
Respirer le parfum d’ici, cette odeur puissante de terre, de mousse et de bête, que je n’ai pas goûtée ailleurs et que je reconnaîtrais entre mille. Je la trouve à nouveau aux pieds des arbres centenaires, enfouie sous les feuilles, intacte, précieuse et familière. Le parfum de la forêt enchantée. Elle me ramène, mieux que toutes les paroles de sagesse, à l’évidente joie d’être en vie, à la miraculeuse beauté du monde. Pas seulement ce monde-ci, exalté dans ce début d’été, mais aussi celui que j’ai laissé loin derrière le peuple bienveillant des hêtres, ce monde enchevêtré de petits bonheurs fugaces et de douleurs lancinantes, d’espoirs et de frustrations, de violence et de douceur. Mon monde. Que j’observe étonnée à travers le frémissement argenté de la forêt et que je reconnais comme le mien. Et que j’aime, tout entier, avec ses étranges contradictions….
Je suis revenue. Et c’est bon…